Artisanat : la renaissance des belles manufactures et des pièces uniques

Après des décennies passées dans l'ombre de la production de masse, les pièces artisanales, issues de manufactures centenaires aussi bien que de petits artisans émergents, semblent de nouveau s'imposer dans le domaine de la décoration. Céramiques, tissages et meubles en bois sculptés, le fait main regagne indéniablement en importance. Ces objets, porteurs de savoir-faire uniques parfois même menacés de disparition, font leur retour dans les boutiques indépendantes, mais ce phénomène traduit bien plus qu'une simple tendance. Notre façon d'aborder la décoration et de la consommer est en train de subir une profonde transformation. Parmi de nombreux facteurs expliquant ce renouveau de l'artisanat, l'un des plus cruciaux est peut-être cette quête de sens qui caractérise le monde de la décoration depuis quelques années déjà. Pour mieux comprendre cette évolution, nous allons explorer cette tendance en compagnie de deux acteurs clés du marché artisanal, qui sont passionnés par leur métier.

Le renouveau de l'artisanat ne fait aucun doute dans l'univers de la décoration. Qu'elles prennent la forme d'assiettes en grès émaillé, de poteries tournées ou de tissages faits mains, les pièces issues de productions manuelles, plus raisonnées, se sont multipliées sur le marché ces dernières années. Si les relocalisations sont encore timides, quelques manufactures françaises nous prouvent qu'une renaissance est véritablement possible. Ainsi, depuis près de 10 ans, Corinne Jourdain Gros offre un second souffle à la manufacture de Digoin : "Nous façonnons des objets du quotidien en leur donnant une dimension sensible. Les assiettes, les cruchons comme les pots à vinaigre qui sortent de nos ateliers témoignent d'un savoir-faire historique qui n'a quasiment pas changé. Loin du jetable, de l'éphémère, nous cherchons à donner du sens à chaque pièce". Une conception partagée par les acteurs clés de l'artisanat, y compris ceux qui commercialisent leurs productions. À l'image de Régis Godon-Dilla, fondateur de la boutique parisienne Ailleurs, qui s'est donné pour mission de transmettre une histoire, au-delà de l'objet.  

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La renaissance des acteurs de l'artisanat

Ces dernières années, le regain d'intérêt pour les pièces uniques, portant les traces d'une fabrication sensible, a permis à certaines manufactures françaises de retrouver leur splendeur passée. Le cas de Digoin est un parfait exemple de renaissance réussie, après quelques décennies passées dans l'ombre de la production de masse où le PVC comme le verre ont remplacé les matières naturelles (indissociables de l'artisanat) dès les années 90. Spécialiste du grès en raison des carrières situées à proximité, la Manufacture de Digoin s'est malheureusement vue écrasée par la concurrence asiatique dont les prix défiaient toute concurrence dans les années 2000. L'arrivée de Corinne Jourdain Gros en 2014 a toutefois changé la donne. Forte de 20 ans d'expérience dans la communication, la nouvelle directrice a eu un véritable "coup de coeur" pour cette manufacture tombée dans l'oubli et s'est donc donnée pour mission de la ressusciter en soulignant le caractère unique des pièces produites entre les murs des ateliers : "S'appuyer sur le patrimoine qui sommeillait là depuis des années était le meilleur moyen de distinguer Digoin de ses concurrents, et notamment de la grande distribution. L'émotion qui m'a submergée lors de ma première visite sur site m'a convaincu qu'il ne fallait pas abandonner cette entreprise".  

Si l'on pense plus facilement aux artisans, il ne faut pas négliger le rôle des commerçants dans cette revalorisation de la production artisanale. En imaginant sa propre définition de boutique, dans le 12e arrondissement de Paris, Régis Godon-Dilla a offert une vitrine singulière aux petites maisons d'éditions et aux artisans encore méconnus du grand public, en mal d'éclairage sur les Salons de décoration. Une façon de "redonner du sens" à son travail de curateur et de proposer bien plus qu'un service de ventes. La curation pointue de la boutique Ailleurs permet en effet de la distinguer des commerces où les objets, issus de grandes marques de design, tendent parfois à se ressembler. "Nous n'avons pas de style préétabli, les pièces artisanales sont sourcées par mes soins selon des critères que je dirais plus restreint d'année en année, puis conjuguées avec des meubles ou des accessoires chinés, comme elles pourraient l'être dans une maison. La sélection n'est donc jamais figée au sein de la boutique", explique ce passionné de décoration.  

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Un changement progressif de la consommation

La renaissance de l'artisanat est évidemment liée à la présence d'un marché dans l'univers de la maison. Les particuliers semblent en effet changer de vision depuis une dizaine d'années, privilégiant la qualité à la quantité pour décorer leurs habitations avec des pièces qu'ils ne risquent pas de croiser chez leurs voisins. Une quête de singularité qui s'accompagne également d'une recherche de sens dans la consommation. Tout comme nous aimons connaître la provenance des fruits et légumes que nous mettons dans nos assiettes, l'origine de notre décoration doit être claire. Le fondateur de la boutique Ailleurs explique ainsi l'importance du "storytelling" dans son métier : "Les gens ne cherchent plus seulement à acheter une belle table ou une cruche colorée, ils veulent comprendre comment ils ont été fabriqués, par qui, où et avec quels matériaux, selon quelle(s) source(s) d'inspiration. L'histoire qui se cache derrière l'objet a tout autant d'importance de nos jours. Ce sont ces détails qui apportent une valeur supplémentaire, émotionnelle, à la décoration. Il est aussi plus simple de comprendre un prix lorsque l'on a conscience du travail que représente une simple tasse en céramique, et surtout qu'une personne se cache derrière sa réalisation". D'une certaine manière, l'artisanat cherche à replacer l'humain dans les schémas de consommation, là où la production de masse l'a longtemps gommé.  

Un phénomène confirmé par la directrice de la manufacture de Digoin, qui constate un regain d'intérêt pour "le savoir-faire derrière l'objet". En investissant dans des productions anciennes, locales, les consommateurs contribuent à l'économie du pays mais surtout à faire vivre des techniques qui ont failli se perdre quelques décennies plus tôt. "Je pense réellement que la crise de 2008 a révélé la fragilité d'un système tributaire de l'international. Nous n'avons pas assez conscience de la richesse que représentent tous ces savoir-faire lorsqu'ils sont correctement exploités, notamment car ils permettent d'obtenir des pièces qui durent avec les années, qui peuvent se transmettre. Choisir l'artisanat c'est prendre le contre-pied du jetable, de l'éphémère, dans un contexte où ils n'ont plus vraiment raison d'être". La qualité des productions artisanales permet en effet de réduire la consommation à quelques objets, choisis en conscience, et non sous l'impulsion d'une tendance. Grès, terre cuite, bois massif ou encore textiles naturels, en plus d'une durabilité, les matériaux utilisés apportent une expérience sensorielle complète, donnant naissance à des pièces aussi agréables à regarder qu'à toucher, contrairement au PVC. Un détail qui a toute son importance si l'on considère que ces éléments accompagnent les particuliers au quotidien pendant des années. 

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Entre tradition et modernité, le subtil équilibre de l'artisanat

Aujourd'hui, deux mouvements majeurs distinguent les artisans selon Régis Godon-Dilla, d'un côté ceux qui perpétuent des savoir-faire séculaires, en déclinant des designs intemporels, et de l'autre ceux qui expérimentent. Même si les goûts ont tendance à légèrement se "normer" avec les réseaux sociaux, la richesse des techniques artisanales permet aux jeunes créateurs de bousculer les codes sans pour autant perdre de vue les valeurs premières du secteur, soit le travail manuel et la qualité des matériaux. Il arrive aussi que les artisans s'appuient sur leur propre patrimoine pour concevoir de nouvelles collections. À la Manufacture de Digoin, des moules anciens retrouvés dans des réserves ont été largement exploités sous l'impulsion de Corinne Jourdain Gros. Si les formes n'ont que peu changées, le travail effectué sur les textures, les engobes, a offert une seconde jeunesse à ce précieux héritage. L'idée étant d'actualiser ces cruchons et ces poteries pour qu'ils ne disparaissent pas mais qu'ils puissent s'inscrire dans les intérieurs d'aujourd'hui. Le succès obtenu avec ces pièces remasterisées n'a fait que confirmer l'intuition de la direction. La manufacture n'exclut pas pour autant de développer de nouveaux moules dans le futur, avec l'aide d'un designer, afin d'explorer de nouvelles techniques autour de l'incontournable grès.  

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