Revers de l'engouement pour les pièces phare du design, la contrefaçon explose, notamment via Internet. Faute de moyens et d'une législation suffisamment sévère, les éditeurs peinent à riposter.
La chaise "DSW" de Charles et Ray Eames à 69 euros, qui dit mieux ? Tentant mais trompeur : la version originale éditée par Vitra coûte 350 euros. Hébergé en Angleterre, où la loi est plus souple*, le site Internet qui vend cette copie a encore de beaux jours devant lui. Il y a aussi le site eBay où, pour écouler leurs stocks, les faussaires se font passer sans trop de difficultés pour des particuliers. Que font les éditeurs ? "On ne peut pas se battre sur tous les fronts, sinon on passerait notre temps à ça", reconnaît l'un d'eux, dépité. Les procédures étant longues (entre 18 et 36 mois) et coûteuses, la plupart se contentent d'envoyer des lettres de leurs avocats et de régler leurs contentieux à l'amiable. Sur le moment, c'est efficace : les sites ferment... mais pour rouvrir quelques jours après sous une autre URL. Chez Fritz Hansen, éditeur de la chaise la plus copiée au monde - la "Série 7" d'Arne Jacobsen -, on repère ainsi au moins un nouveau site frauduleux par semaine rien que dans l'Hexagone. Bref, la traque est sans fin. Et le phénomène prend de l'ampleur. Chez Cassina, on estime que pour un original, cinq à six contrefaçons sont vendues dans le monde. Elles proviennent principalement de Chine, où les faussaires achètent le modèle convoité pour le dépecer et le reproduire à bas coût.
* Alors qu'en France ou en Italie les droits d'auteur sur le design industriel continuent d'exercer une protection post mortem pendant 70 ans, celle-ci ne dure que 25 ans au Royaume-Uni. Nos remerciements à Maître Gérard Delile, avocat en droit de la propriété intellectuelle chez Salans, pour son précieux éclairage.
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Les receleurs brouillent les pistes
Alors que dans la mode la lutte contre la contrefaçon est organisée depuis longtemps, dans le secteur du meuble, on commence tout juste à s'agiter. Faute de moyens évidemment, mais pas seulement. "Jusqu'à présent, le phénomène restait anecdotique, estime Alain Taillandier, directeur France d'Artemide. Mais depuis cinq ou six ans, tout le monde veut du design. Cela attire les copieurs." Plus consensuelles que jamais, vues et revues dans les magazines de décoration, mais aussi dans la publicité, au cinéma ou sur les plateaux de télévision, les icônes du design sont victimes de leur succès. "Les gens ne veulent acheter que ce qui est déjà reconnu par les autres", explique François Laffanour, propriétaire de la galerie parisienne Downtown. Ceux qui souhaitent s'offrir une image de bon goût et de modernité, mais qui ne peuvent - ou ne veulent - pas mettre le prix, recherchent de bons plans sur Internet. Sans se rendre compte qu'ils s'apprêtent à commettre un délit (être détenteur d'une contrefaçon est illégal en France). Et la plupart du temps sans même avoir conscience qu'il s'agit de copies, tant les receleurs sont habiles à brouiller les pistes. Sur les sites de vente de faux, le nom des designers est ainsi presque toujours mis en avant (au mieux assorti d'un précautionneux "inspiré de"), biographies détaillées à l'appui. Le vrai nom des modèles est écrit noir sur blanc. Les photos présentées sont souvent celles des pièces originales, occasionnant de sévères déconvenues à ceux qui reçoivent par voie postale un meuble en kit...
Pour que la méprise soit complète, il ne manque à ces sites qu'une mention, pourtant essentielle : celle des éditeurs. Incontournables, ces derniers pâtissent néanmoins d'un cruel déficit de notoriété. Qui, à part les passionnés, connaît Fritz Hansen ou Knoll, pour ne citer qu'eux ? "Nous sommes les dépositaires de pièces dont la popularité dépasse largement la nôtre", reconnaît Gianluca Armento, directeur de Cassina. Il est alors facile pour les contrefacteurs de passer les éditeurs sous silence sans attirer la suspicion des acheteurs. Certains sites comme Steelform.com ou Leatherform.com ne prennent pas tant de précautions et proposent ouvertement des copies. Celles-ci sont usinées en Toscane par de petits fabricants de meubles reconvertis dans les années 1970 pour éviter la faillite. Ils revendiquent un travail artisanal d'aussi bonne qualité que celui des modèles déposés. Le tout pour un prix jusqu'à dix fois moins élevé. Dénonçant le monopole des éditeurs, ils ont créé en 1998 un consortium baptisé Origini. "Nous nous battons pour un design démocratique", revendiquent-ils sur leur site Internet. Des propos qui font bondir les dirigeants de Cassina. "Depuis 1965, Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret et la fondation Le Corbusier nous ont confié les droits d'exploitation exclusifs de leurs dessins et modèles, rappelle Gianluca Armento. Leurs ayants droit nous font confiance encore aujourd'hui. Si notre travail n'était pas à la hauteur, nous aurions perdu la licence depuis longtemps." À plusieurs reprises, Cassina a attaqué certains membres d'Origini en justice. À chaque fois, des dommages et intérêts ont été versés. Malgré tout, la production continue...
Des chaises "Fourmi" (sic) chez un grand distributeur
Même la grande distribution se laisse berner. Chez Vitra, on se souvient notamment de ces fausses chaises Panton présentées dans un illustre catalogue de vente par correspondance. "Il suffisait qu'un enfant saute dessus à pieds joints pour qu'elles explosent en éclats coupants", se souvient Isabelle de Ponfilly, directrice France de la marque. Elle a fait saisir les contrefaçons avant d'offrir au distributeur, qui clamait son ignorance, un livre sur les objets cultes du design, histoire de lui faire réviser ses classiques... Chez Fritz Hansen, on avoue avoir tenté il y a quelques années une action en justice contre les enseignes distribuant des chaises semblables à la "Fourmi" d'Arne Jacobsen. Cette fois, la justice a débouté l'éditeur : la forme des modèles incriminés différait trop de l'originale, bien plus travaillée. La loi indique en effet qu'il y a copie lorsque les ressemblances prennent le pas sur les différences. Aux yeux de la justice, un modèle est considéré "original" dès lors qu'il est "empreint de la personnalité" de son créateur. Une définition pour le moins subjective qui laisse la part belle à l'interprétation. À l'arrivée, on ne compte plus les pièces très "inspirées" de best-sellers du design qui inondent le marché de la grande distribution : lampes ressemblant à la mythique "Jieldé", tables aux faux airs de "Tulip" de Saarinen, etc. C'est ainsi qu'on trouvera encore dans la prochaine collection printemps-été d'un célèbre vendeur par correspondance une chaise "Fourmi", dossier arrondi et placage noyer, à 138 euros le lot de deux. En toute légalité. Et si l'hommage est monnaie courante, même chez les grands designers, toute la différence se situe dans la revendication de la filiation. Comme en témoigne la chaise "Masters" dessinée par Philippe Starck et Eugeni Quitllet sortie chez Kartell en 2011, fusionnant les silhouettes de trois assises stars de Jacobsen, Eames et Saarinen.
"Les amoureux de design n'achètent pas de copies"
Encore plus surprenant, il semblerait que même certains professionnels de la décoration soient tentés d'acquérir des contrefaçons et en toute connaissance de cause. "En achetant une copie, ils ont l'impression de faire une affaire. Ils se moquent des problèmes moraux que cela pose", s'étrangle Isabelle de Ponfilly. "On méprise un savoir-faire artisanal extrêmement minutieux", complète Stephen Legue, directeur France de Fritz Hansen. La chaise "Série 7", par exemple, nécessite pas moins de 35 opérations manuelles : sélection des meilleures essences de bois, tranchage et collage de neuf feuilles entoilées avec du coton égyptien, etc. Une rhétorique reprise en choeur par les vendeurs de l'enseigne Silvera. Tous ont assisté à la fabrication de meubles iconiques. "Les gens qui viennent chez nous ont vu des modèles quatre ou cinq fois moins chers sur Internet, à nous de leur expliquer les raisons d'une telle différence de prix", raconte Paul Silvera, le fondateur. "De toute façon, les vrais amoureux du design n'achètent pas de copies, tranche Georges Savinov, directeur de Flos France. Ils désirent un original pour sa signature, son histoire et la magie qui s'en dégage." Pas sûr qu'en temps de crise ces arguments soient décisifs ! Longtemps resté une discipline d'initiés, le design a aujourd'hui une nouvelle clientèle. Moins experte, oubliant peut-être trop vite avant de les acheter sur Internet que si tous ces meubles sont devenus mythiques, c'est parce qu'ils ont apporté quelque chose de nouveau en matière de confort, d'ergonomie et d'esthétique. Manque de culture des uns ou insuffisance de communication des autres, l'acquisition d'une première pièce de design peine à s'écarter d'un parcours ultra-balisé se résumant à cinq ou six icônes.
Cassina, le précurseur du design
Une centaine de procès en cours dans le monde, dont une trentaine en France. L'éditeur italien fait figure de chef de file en matière de lutte anti-contrefaçon. L'entreprise multiplie les actions, comme en septembre 2010, lorsqu'elle a célébré le durcissement de la loi italienne sur le droit d'auteur en s'offrant une double page de publicité dans un grand quotidien national. "Même pour la loi, entre un original et une copie, il y a une belle différence", pouvait-on lire en majuscules au-dessus de la photo grisée d'un faux fauteuil "LC2". Dans la foulée, Cassina a suggéré à ses contrefacteurs de se diriger vers la création... L'année dernière, l'éditeur a invité les agences de presse européennes à assister à la destruction d'un stock de contrefaçons découvert en Belgique. La marque est aujourd'hui la seule à axer ses campagnes publicitaires sur l'authenticité de ses produits.
Cinq bonnes raisons d'acquérir un original
1. Il est fabriqué dans le respect de la démarche intellectuelle du designer. Pour chaque pièce vendue, les éditeurs reversent des royalties aux ayants droit, leur permettant ainsi de faire vivre un patrimoine.
2. Sa fabrication respecte les normes européennes de sécurité. Pas de risque de casse prématurée ou d'électrocution.
3. C'est un investissement. Il a une cote et se dévalue peu en cas de revente. Certains prennent même de la valeur.
4. Sa qualité est incomparable : matériaux de premier choix, techniques de pointe, contrôles drastiques pendant la production, etc.
5. Les éditeurs offrent un service après-vente et une garantie allant jusqu'à vingt ans. En cas de problème, la pièce sera réparée avec soin. Les contrefacteurs, eux, demeureront injoignables, s'ils n'ont pas déjà disparu.
Reconnaître la contrefaçon
Certaines copies sont si parfaites que même les plus aguerris peuvent s'y méprendre. À savoir avant d'acheter : - Sur un original, le logo de l'éditeur est toujours gravé, comme parfois la signature du designer.- Chez Cassina et Fritz Hansen, un numéro de série unique permet d'assurer l'authenticité de la pièce et de connaître sa date de production.- Renseignez-vous auprès des éditeurs sur le prix de l'original. Si celui que l'on vous propose est largement inférieur, c'est qu'il s'agit d'une copie.- Consultez le site Internet des éditeurs pour connaître la liste des revendeurs agréés. Une pièce proposée comme neuve dans d'autres points de vente est forcément fausse.
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7 commentaires
Bibi16
@mephisto :
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cecile
Des designers comme les Eames, Jean Prouvé...ont toujours veillé à ce que leur créations puissent être produites en masse parce qu'ils les destinaient au plus grand nombre: public et collectivités. Ces "malheureuses" contre-façons ne font que répondre à leur voeu. En ce qui concerne la qualité de fabrication, quelle différence y a t-il entre le plastique chinois Vitra et le plastique chinois ? La délocalisation de leur production rend le mot copie désuet. Ne serait-il pas plus pragmatique d'offrir cette gamme cheap à un prix concurrentiel et de proposer une version fibre de verre? Cela nous éviterait, peut être, de payer la magnifique qualité du plastique moulé doublée de leur frais d'avocats?
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Tout comme vous, je suis passionné par les chaises et fauteuils des designers EAMES ! Jai crée un blog ou je vous propose de mettre chaque jour en avant VOTRE chaise ou VOTRE fauteuil, ainsi que lhistorique qui laccompagne La particularité de ce blog est que les différents articles évoquant les chaises ou les fauteuils que nous vous présenterons seront proposés et illustrées par VOUS-MÊME ! Ainsi, si vous possédez une chaise et que vous narrivez pas à la dater ce blog est fait pour vous En effet, grâce à laide dun professionnel spécialisé dans les chaises du couple EAMES, ainsi quaux photos que vous nous enverrez, il sera possible de vous apporter plus de précisions sur les modèles. Jespères vous revoir bientôt sur http://unjouruneeames.canalblog.com ou sur http://unjouruneeames.tumblr.com. Nous disposons aussi d'une page Fbook: Unjouruneeames et d'un INSTAGRAM: #unjouruneeames Amicalement
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mephisto
Je me suis un acheté un lounge chair sur une filière italienne et j'en suis tout à fait heureux. Fan de design, je n'ai néanmoins pas les moyens de dépenser le prix d'une voiture dans un fauteuil. Alors OK pour le choix des matériaux et l'assemblage mais personne ne me fera croire que 8000 représentent vraiment ce travail, que je connais bien par ailleurs. Quand le design sera enfin destiné aux "humains" et que les marges deviendront raisonnables alors il deviendra réellement profitable pour tous, c'est là le but. Pour le moment les signatures et autres cotes resteront le loisirs des bobos, vous avez dit culture ?
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Intéressant. On sera donc vigilant !
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Si les ayants droit, la qualité des matières et le savoir faire des producteurs sont mis en avant pour justifier des prix prohibitifs. Ils ne représentent pourtant, dans le meilleur des cas, que 20% du prix public...
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alexandre
Très très très bon article, félicitations ! alexandre de lovedesignn
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