Alors que le Centre Pompidou consacre une exposition à Le Corbusier du 29 avril 2015 au 3 août 2015, un ouvrage raconte la villa Savoye à travers les regards croisés du petit-fils de la commanditaire de la maison, Jean-Marc Savoye, et de l'illustrateur Jean-Philippe Delhomme. Rencontre avec deux passionnés d'architecture.
A l'occasion du 50ème anniversaire de la disparition de Le Corbusier, le Centre Pompidou lui consacre une exposition en 2015. Côté Maison vous fait découvrir la villa Savoye, monument mondialement connu signé Le Corbusier. Jean-Marc Savoye et Jean-Philippe Delhomme nous ont ouvert les portes de cette maison d'architecte... Au travers de peintures et de souvenirs de famille.
Comment vous est venue l'idée de ce livre à quatre mains ?
Jean-Philippe Delhomme : En 2007, l'éditeur de mobilier Vitra avait planché sur le thème "peut-on remeubler la villa Savoye ?". J'avais alors été sollicité pour dessiner la maison dans laquelle l'éditeur avait installé des pièces de mobilier créées par les Bouroullec ou Maarten Van Severen.
Jean-Marc Savoye : Parallèlement à cela, ma femme m'a offert un des dessins de Jean-Philippe représentant la villa. Là, je me suis dit qu'il fallait que nous nous rencontrions, Jean-Philippe et moi, pour parler de cette maison...
Quels souvenirs aviez-vous chacun de la villa Savoye ?
Jean-Marc Savoye : À titre personnel, je n'ai que très peu de souvenirs. J'avais à peine quatre ans quand je m'y suis rendu en week-end ou en vacances avec mes parents qui, eux, s'y sont fiancés en 1939.
Jean-Philippe Delhomme : Pour ma part, je l'ai visitée plusieurs fois ces dernières années, car je la trouve à la fois belle et inspirante.
Comment avez-vous raconté l'histoire de la villa Savoye ?
Jean-Marc Savoye : Je suis parti d'un livre consacré à la villa Savoye écrit en 2005 par l'architecte espagnol Josep Quetglas. J'ai également puisé dans les courriers de mes grands-parents, notamment les échanges de lettres entre ma grand-mère Eugénie Savoye et Le Corbusier. Car c'est elle qui lui a passé commande de la maison en juin 1928. Après avoir vu des photos de maisons construites par l'architecte, elle aurait dit: "C'est une maison comme ça que je voudrais."
Jean-Philippe Delhomme : À partir de ce que j'ai vu de la maison et recueilli de mes échanges avec Jean-Marc Savoye, j'ai imaginé et dessiné des scènes de vie. J'ai voulu montrer la villa avec réalisme, mais sans en faire trop non plus. Car la villa Savoye n'a jamais été la villa Noailles. Ce n'était ni une maison de mécènes, ni une maison pour faire des fêtes.
Quel était le cahier des charges de votre grand-mère ?
Jean-Marc Savoye : Mes grands-parents avaient un fils. Il leur fallait donc deux chambres, plus une pour les amis, et deux autres pour la femme de chambre et la cuisinière. Ma grand-mère souhaitait que cette maison soit confortable, lumineuse, dotée de prises de courant, dont des prises de force en vue d'installer "une lessiveuse électrique". Elle voulait le chauffage central, une cheminée et une cuisine grande "comme à Ville-d'Avray", allusion à la "villa Church" que Le Corbusier venait d'achever.
Combien de temps ont duré les travaux ?
Jean-Marc Savoye : Toute l'année 1929. Et mes grands-parents suivaient le chantier de près : ils ont notamment émis des réserves sur la largeur des portes qu'ils jugeaient trop étroites ou encore sur l'épaisseur des cloisons, trop minces selon eux.
Pourquoi avoir intitulé le livre Les Heures claires de la villa Savoye ?
Jean-Marc Savoye : Parce que "Les Heures claires", c'est le nom que mes grands-parents avaient donné spontanément à cette maison. Même si, dans la famille, lorsque l'on évoquait la villa, on parlait tout simplement de "Poissy".
La villa Savoye est-elle une maison où vous auriez envie de vivre ?
Jean-Philippe Delhomme : On peut s'y projeter, en effet. Car c'est une maison avec des espaces et des volumes à taille humaine. En outre, Le Corbusier l'a dotée de tables, tablettes, bibliothèques... Même le toit est accessible. C'est une maison où l'on peut vivre, travailler, réfléchir, être inspiré. Cette villa prend en compte le corps et l'esprit.
Jean-Marc Savoye : Quand mes enfants voient la villa Savoye, ils regrettent qu'elle ne nous appartienne plus...
Et pourtant, votre grand-mère a multiplié les lettres de réclamation auprès de Le Corbusier au regard des nombreuses malfaçons...
Jean-Marc Savoye : Le chauffage était un souci majeur. En 1934, mes grands-parents font venir un ami ingénieur, dont les préconisations seront exécutées. Puis, ils ont dû faire face à des problèmes d'étanchéité. Le 7 mai 1936, ma grand-mère écrit à Le Corbusier : "Il pleut dans la rampe et il pleut dans le garage, dont le mur est trempé." Dans la même veine, le 11 octobre 1937, elle déclare à l'architecte que sa responsabilité décennale est engagée mon grand-père était assureur et, là, on sent que ma grand-mère sait de quoi elle parle.
Jean-Philippe Delhomme : Le Corbusier répond alors cette phrase étonnante et inimaginable aujourd'hui : "Vous devez vous considérer comme les amis de votre maison"...
En 1940, les Allemands réquisitionnent la villa Savoye. Pourquoi ?
Jean-Marc Savoye : Pour son emplacement stratégique. La villa Savoye était idéalement située pour observer la vallée de la Seine et les usines Ford un peu plus loin en contrebas.
Que se passe-t-il après la guerre ?
Jean-Marc Savoye : En 1945, mes grands-parents récupèrent la villa. Très dégradée, elle doit être refaite de fond en comble pour la rendre habitable. Ils ne le feront pas. En 1947, ils transforment la propriété en exploitation agricole. Dix ans plus tard, le maire de Poissy demande à mon père de lui céder la propriété en vue d'y bâtir un lycée.
Une procédure d'expropriation est lancée et aboutit en avril 1959. Il est alors question de raser la maison. Mais Le Corbusier, un groupe d'architectes et André Malraux vont se mobiliser : un Comité provisoire de sauvegarde de la villa Savoye est créé. Une pétition internationale circule et le lycée sera construit ailleurs. La villa, quant à elle, est classée à l'inventaire des monuments historiques en 1964.
Aujourd'hui, la villa Savoye se visite. Lego en a même fait une version miniature à construire. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Philippe Delhomme : Non seulement la villa Savoye se visite, mais au Japon elle est perçue comme un véritable lieu de pèlerinage par les architectes et les étudiants en architecture.
Jean-Marc Savoye : J'ai mis une demi-journée à construire la villa Savoye en Lego. J'ai suivi la notice où l'on fait référence à ma grand-mère Eugénie, en la prénommant Émilie... Reste qu'en regardant cette miniature, je ne peux m'empêcher de penser à ma grand-mère qui voulait bâtir une maison qui lui survive.
Les Heures claires de la villa Savoye, de Jean-Marc Savoye et Jean-Philippe Delhomme.
Graphisme de Roch Deniau. Éd. Les Quatre Chemins, 18 euros.
Et aussi : exposition Jean-Philippe Delhomme à la galerie Martine Gossieaux, à Paris (56, rue de l'Université, VIIe), jusqu'au 15 octobre 2015.
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