En réaction à la société de consommation et au gaspillage à outrance, la mode se réinvente et le design innove avec de nouveaux concepts. Marques éthiques et start-ups voient le jour, avec un esprit écolo dans l'ère du temps.
Overdose de fast-fashion, de fast-food, de speed dating, de smartphones périssables... Des créateurs pionniers et de nouveaux acteurs inventent des alternatives. Question de survie ! Et d'envie. Les entrepreneurs de demain envisagent un monde eco-friendly, moins exploité et plus honnête. Les solutions ? Une mode aux textiles durables, des produits du quotidien solides, et une architecture recyclée capable de résister à l'épreuve du temps.
De nouveaux modèles de consommation
La société de consommation est morte. Vive la consommation vertueuse ! à défaut d'une pause plus radicale comme le prône l'association Zero Waste France qui appelle à ne rien acheter de neuf en 2018, ou presque, dans un objectif de défendre l'environnement et de générer des "activités, emplois et échanges locaux". Presque 8 000 signataires quinze jours après son lancement. Autre signe en ce début d'année, le livre d'un comptable canadien devenu best-seller. Édité en France par Les Arènes (qui donnent naissance aussi au premier hebdo participatif, sans publicité, bien nommé ebdo), En as-tu vraiment Besoin? de Pierre-Yves McSween vient taquiner avec un humour bon enfant tous nos achats qui pourraient s'avérer aussi inutiles que frustrants. Il développe une méthode anti-découvert qui transforme les vendeurs en prédateurs, les cartes de fidélité en vampires de données personnelles. Au sein du sérail même de la mode, les "déclencheurs d'alerte" ont été des précurseurs. Secteur oblige lançant les tendances !
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Dès 2015, Li Edelkoort écrit son manifeste Anti-Fashion. Personnalité influente de la mode à la tête du bureau prospectif Trend Union, elle entraîne une remise en question de toutes les étapes, de l'enseignement à l'accélération des rythmes des collections, de la délocalisation au prix quand un "tee-shirt vaut moins cher qu'un sandwich". Elle annonce : "Nous allons vers une société d'ascèse, c'est une question de survie de notre espèce, on sait que l'on doit arrêter. Le système entier est à réinventer, des jeunes pointent l'avenir. Ce sera le temps d'une génération (...) La mode est morte, pas le vêtement. Il faut s'engager. Retrouver le goût du travail fait avec amour." Elle transforme le rez-de-chaussée de son agence dans le XIVe arrondissement en galerie afin de partager avec le plus grand nombre ses partis pris, ses découvertes de designers. Une première exposition "The Gift to be Simple" réactive le mouvement shaker dans le design, qu'elle met en correspondance avec des craftmen scandinaves ou la marque new-yorkaise Bode qui confectionne des vestes en patchwork ! L'espace résonne aussi de rencontres et de conférences "Anti-Fashion" en relais du manifeste, organisées par Stéphanie Calvino. Cette dernière, fatiguée "des discours trop institutionnels des fédérations, sans véritables actions sur le terrain" rassemble les nouveaux acteurs d'une autre mode "responsable".
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Une mode plus éthique
Les voix des pionnières de Vivienne Westwood et de Katharine Hamnett s'en trouvent amplifiées. Dès les années 1990, celle-ci ferme sa marque archiconnue, et adoubée par Madonna et Lady Di, quand elle prend conscience de l'énormité de la pollution engendrée par le jean, sa matière de prédilection - la mode est la deuxième industrie la plus polluante après le pétrole. Elle se lance, frôlant la banqueroute, dans l'édition de tee-shirts bio aux messages radicaux "Clean up or Die", "Choose Life". Elle poursuit aujourd'hui avec son "Cancel Brexit" ou "Choose Love" au profit des réfugiés. Vivienne Westwood a toujours fait de ses collections, de ses défilés, des supports à son "activisme positif" - combat contre la pollution, la déforestation, la surconsommation... Elle s'engage auprès de nombreuses associations et signe son "AR Manifesto, "Active Resistance to Propaganda".
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De nouvelles boutiques concrétisent les engagements de ces créatrices internationalement connues, à l'initiative d'une génération souvent de moins de trente ans. La Textilerie se veut un espace mixte, 130 mètres carrés entre "atelier-café-boutique-recyclerie". Elsa et Alice, déjà fondatrice de l'association Mode Estime (réinsertion des personnes par la couture), envisagent le vêtement dans son passé, son présent et son futur. Elles incitent à donner les "oubliés du placard" (environ 200 € par Anglais d'après une étude Weight Watchers), à réparer les émoussés, à marier deux pièces pour en créer une troisième... Même les moins manuelles peuvent muter en Maroussia Rebecq, créatrice du label Andrea Crews, première à avoir hybridé et sublimé des pièces récupérées !
Autre lancement, l'unique concept store de mode vegan Manifeste011 s'installe sous l'impulsion des jumelles Maud et Judith. L'Anti-Fashion de Li Edelkoort et le documentaire The True Cost les poussent à une remise en question de l'habillement. En trouvant une alternative vegan, équitable, traçable avec des marques pointues, comme Wanda Nylon de Johanna Senyk, lauréate du prix le plus prestigieux de la mode décerné par l'Andam (Association nationale pour le développement des arts de la mode), ou encore, Good Guys, le cuir végétal par Marion Hanania. Elles réenchantent la consommation. En écho aux propos de Stéphanie Calvino - "la notion de consommation est liée à l'émerveillement, à nous de nous en souvenir" - peut-être faut-il marier cette question à celle de l'utilité, précédemment citée ?
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Le design fait la part belle au recyclage
Côté design, les 5.5 avec "l'hôpital des objets malades" avaient sensibilisé, dès 2003, aux enjeux du recyclage. Dernièrement, ils offrent au verre "Picardie" de Duralex, connu de toutes les cantines, soixante-dix nouveaux usages, de la mangeoire à oiseaux à la palette de peintre. Ce collectif 5.5 designstudio ne revendique pas un style, comme beaucoup de designers, mais une réflexion : qu'il n'y a pas d'objet gratuit. "Nous avons ainsi bousculé et provoqué le monde du design en questionnant systématiquement notre métier ou, du moins, notre rôle dans le processus de création. Nous avons ainsi insufflé à notre discipline des valeurs d'éthique, de responsabilité, qui ont fait évoluer notre profession et influencé de nombreuses réalisations de ce début de siècle."
Un team de jeunes diplômés de l'Ensci (École supérieure de création industrielle), nominés aux Rising Talents de Maison&Objet 2017, déprogramment l'obsolescence. Julien Phedyaeff et Christopher Santerre fomentent la machine à laver "L'Increvable". Elle devient durable, réparable et évolutive. Source d'espoir quand on sait que chaque Français représente plus de vingt et un kilos d'équipements électroniques et électriques destinés à la poubelle.
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Côté architecture, le Pavillon Circulaire sensibilise à l'économie circulaire - cycle de vie d'un produit, de sa création à son recyclage qui vise à augmenter l'efficacité de l'utilisation des ressources et à diminuer l'impact sur l'environnement. Des portes provenant de la réhabilitation d'un immeuble, ou des planches de Paris Plage pour les caillebotis de la terrasse, tout est récupéré. Construit par le collectif d'architectes Encore Heureux, l'édifice est présenté lors de la COP 21 par le Pavillon de l'Arsenal. "Pensons plus pour consommer moins. S'il n'y a pas de construction sans matériaux, et donc sans destruction et consommation, il n'y a pas de projet juste et économe sans dépense redoublée d'imagination. Nous considérons comme non seulement possible mais nécessaire l'invention d'autres modalités de construction : économiquement et écologiquement sobres et, par là même, riches de sens et d'imaginaires nouveaux." Encore Heureux représentera la France à la prochaine Biennale d'architecture de Venise 2018 avec le projet Lieux Infinis. "Il traite des lieux qui parviennent à accueillir l'imprévu, offrent des zones de gratuité, intègrent des usages non programmés, permettent l'appropriation citoyenne en misant sur l'énergie collective et le désir de commun."
L'alimentation n'est pas en reste. Elle est peut-être même au début de tout. Robin Placet, de Foodentropie au château de Nanterre, s'exclame : "Y en a marre du durable ! Nous parlons impact positif, de la fourche à la fourchette. Nous oeuvrons pour la transition alimentaire de nouveaux modèles." Un lieu encore à plusieurs têtes qui agrège un potager thérapeutique "renouer l'alimentation au jardinage" de neuf cents mètres carrés, un restaurant "fast-good, self-service, self-paiement", des chefs en résidence, des cuisines partagées avec United Kitchens, le plus grand incubateur culinaire de France ! Toujours pour imaginer d'autres systèmes vertueux et "une cuisine zéro déchet". On peut étendre la maxime "on est ce qu'on mange" à "on est ce que l'on consomme". Et si le consommateur reprenait le pouvoir ? Li Edelkoort annonce "une guerre mentale avec les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), grands influenceurs de comportements".
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