A l'occasion de la sortie d'un beau livre qui présente une série d'intérieurs, de Londres à Marrakech ou Paris, la décoratrice Linda Pinto retrace la saga de son agence et nous parle de la quintessence de son style. Découvrez sans plus attendre le portrait de cette femme de caractère.
Vieille comme le monde, la mise en scène de la richesse et du pouvoir a connu de belles réussites : la Cité interdite, Versailles, le Topkapi... Elle se poursuit différemment aujourd'hui, avec l'afflux de nouveaux millionnaires dont les envies neuves, souvent très personnelles, culbutent les codes esthétiques et les assonances établies. Depuis quarante ans, le cabinet Alberto Pinto organise, en les canalisant, ces désirs parfois singuliers.
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Habitué à se déployer dans de vastes espaces où les grands objets sont à l'aise, le style Pinto doit beaucoup aux envies de ses clients célèbres et collectionneurs du monde entier, férus de matières belles ou rares... Sachant pacifier l'opulence en nouant des harmonies entre des éléments forts, il se proclame "éclectique" pour suggérer qu'il n'est fermé à rien. Pas même au classicisme pur - ici, on suit de près le calendrier des maisons de vente aux enchères - ni aux décors sobres et calmes, car qui peut le plus peut le moins. "Peu importe le style, dit-on ici. L'important, ce sont les volumes, l'espace et la lumière." Parmi ses 80 employés, le cabinet aligne 8 décorateurs et peut tout accomplir. Décorer une chambre de bonne ? "Nous l'avons déjà fait." Un "petit" 150-mètres carrés à Londres ou à Paris ? Il suffit de disposer d'argent, et surtout de temps, certains chantiers pouvant durer quatre ans.
Dans cet esprit haute couture, tout est fait pour mettre le client à l'aise. L'hôtel particulier logeant l'agence respire la décontraction et le bureau de Linda Pinto, la patronne, est en désordre, juste ce qu'il faut. Vêtue d'un tailleurpantalon souple comme un pyjama, cette belle quinquagénaire aux yeux d'icône a gardé de son Maroc natal un feeling chaleureux, lissé de politesse française. "Ici, ce n'est pas un bureau, sourit-elle, c'est ma maison, où mes employés constituent ma famille." Famille : un mot-clef chez les Pinto. Née à Casablanca, comme Alberto, de parents argentins, Linda - de huit ans sa cadette - monte à Paris au début des années 1970 afin d'aider son frère. Des décennies durant, ils vont gérer ses affaires en tandem ("il s'occupait de la création, moi de l'organisation") et elle en prend l'entière direction quand celui-ci décède, il y a quatre ans, non sans confier à Davina, sa fille, l'édition des objets créés par l'agence sous le label Pinto Paris. Entourée de nombreux talents, Linda Pinto ne dessine rien elle-même, mais supervise et reçoit. Pour cerner ses clients, elle s'enquiert de ce qu'ils aiment ou pas, avant de leur attribuer le décorateur qui suivra leur projet. Y a-t-il des limites à sa collaboration ? "Certainement, répondelle. J'ai décliné le projet d'un homme d'affaires qui voulait un avion vénitien, avec lustres à pampilles."
L'agence Pinto a décoré des Boeing et des Airbus. Parmi les 100 plus grands yachts du monde, 10 portent sa griffe. Elle s'est fait une spécialité de ces décors voyageurs qui affrontent l'altitude ou l'océan dans un écrin de cuirs précieux et de bois rares. En plus d'un aménagement pharaonique (les derniers étages de la tour Odéon à Monaco, prévus pour abriter le penthouse le plus cher du monde...), le cabinet gère, aujourd'hui, cinq chantiers parisiens, dont l'hôtel Lambert sur l'île Saint-Louis, un lieu archiclassé construit par l'architecte de Versailles, qu'on ne redécore qu'à la pince à épiler. L'éclectisme de l'agence Pinto l'a également conduite à intervenir sur de nombreux hôtels, qu'ils soient modestes (l'Hostellerie de Plaisance, à Saint-Emilion) ou huppés (le Lanesborough, à Londres, doté par ses soins en début d'année d'un décor plus anglais que nature). En plus de sa souplesse, l'agence est imbattable sur la qualité des finitions et le talent des artisans, comme le bronzier Louis Cane, le peintre- doreur Mériguet, le maroquinier Foglizzo, sans oublier les laqueurs, les ébénistes...
Intimidant ? Rien n'est plus facile que de passer la porte du show-room pour chiner un meuble ou une assiette, créés à l'occasion de chantiers prestigieux et édités par Davina. Comme ce buffet Queluz où le parchemin s'accorde avec le bronze et la laque. Ou ces pièces plus brutes aux allures de sculpture industrielle, mariant le métal et le verre. Couvrant un vaste éventail de styles, sous des couleurs et des motifs délicats, les assiettes en porcelaine fine de Limoges sont un concentré peu coûteux du style d'Alberto Pinto : optimiste, coloré, souvent sophistiqué, il dégage une tension qui pousse à se tenir plus droit.
Cabinet Albert Pinto Paris, sur rendez-vous, 11, rue d'Aboukir, Paris (IIe), 01-40-13-00-00. *Alberto Pinto Signature, préfacé par Hubert de Givenchy. Flammarion, 255 p., 70 ?.
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