Pierre Paulin est l'un des plus grands designers français, nombre de ses créations aux formes simples les fauteuils "Ribbon", "Mushroom", "Globe" ont bouleversé l'art de vivre des années soixante et font maintenant partie des collections des plus grands musées du monde.
Maquette impeccable, déliée, présentation joyeuse de nombreux dessins inconnus et de projets inédits, photos magnifiques et signifiantes... et un texte qui sort de l'ordinaire, un vrai cadeau ! Nadine Descendre était une amie de Pierre Paulin, elle n'y parle pas la langue de bois. On sent le livre nourri de leurs conversations au fil de longues années. Elle fut aussi la première à l'arracher à son exil cévenol en lui offrant concrètement une exposition à l'École des Beaux-Arts de Nîmes qu'elle dirigeait alors en 1999. Dommage d'ailleurs que ce livre fasse l'impasse d'une bibliographie des ouvrages écrits sur lui. L'auteur dresse un portrait sensible, intelligent, coloré par l'affection d'une inconditionnelle qu'elle tempère néanmoins par de subtiles analyses intellectuelles ou historiques. Un ton direct pour tenter d'expliquer au mieux ce créateur qui ne suscitait pas la demi-mesure. Adulé ou au contraire incompris, voire étonnamment exécré, on a toujours mêlé l'homme et son oeuvre.
Nadine Descendre réussit à dénouer les incompréhensions et les malentendus, à mettre le doigt avec précision sur ses erreurs de tactique, ses défauts de communication mais aussi à souligner ses qualités irremplaçables, exceptionnelles qui font de Paulin un designer à la fois très singulier et aujourd'hui très populaire, beaucoup plus rigoureux et anticonformiste qu'on ne le pense habituellement.
Pierre Paulin, une icône du design des années soixante
Les jeunes générations ne s'y trompent d'ailleurs pas, vu leur emballement et l'inspiration qu'ils en tirent. Le design a beaucoup évolué depuis les années cinquante. Après la guerre il était une nécessité vitale. Bien qu'en France la situation du "design" (terme qui ne fut employé que dans les années soixante !) fût floue et balbutiante puisque ce pays royaume des arts décoratifs n'avait jamais eu une vraie culture du design, Paulin, comme ses confrères, en fit un idéal, et fut de ceux qui transformeront le mieux l'art de vivre des Français. Il a su réaliser pragmatiquement ce rêve de mobilier aux formes simples, ergonomiques, en accord avec les besoins et les matériaux de l'époque. Il y ajouta une douceur, une sensualité, une joie colorée qui rendaient compte avec élégance et panache du changement de l'environnement.
Pierre Paulin, fournisseur de l'Élysée
Son extrême rigueur, sa détermination austère, ne l'empêcha jamais de rester ouvert et imaginatif. Certes, il fut hautain, cassant, peu explicatif. Solitaire, il se condamna à rester solitaire. Mais son travail ne fut ni bourgeois sous prétexte qu'il fournissait aussi les élites et l'Élysée, ni académique parce qu'il prit la liberté de revisiter les styles passés (postmoderne inconscient), ni facile parce qu'il avait du style par essence. Nadine Descendre prend bien soin d'analyser tous les points de vue, de remettre les malentendus en perspective tout en prouvant combien cet "artiste", qui doutait, a payé cher son désir d'indépendance. Combien surtout il est considéré aujourd'hui, avec le recul nécessaire, comme celui qui fit souffler en France un sacré vent nouveau des années cinquante à quatre-vingt. Qui dit mieux ?
Pierre Paulin, L'homme et l'oeuvre, par Nadine Descendre, photos de Benjamin Chelly, éditions Albin Michel, 49 euros.
Commentez cet article
0 commentaire