Amoureux du design suédois mais aussi de l'Art déco, l'architecte d'intérieur Pierre Yovanovitch privilégie les volumes à la décoration et la rigueur des formes à l'ostentation. Pour L'Express Styles, il dévoile la diversité de ses inspirations. Portrait d'un homme d'influences.
Pierre Yovanovitch est un homme de paradoxes. A la fois timide, discret, presque introverti, il possède pourtant un réseau impressionnant. En architecture, il milite pour une géométrie assumée, des lignes tendues mais les meubles qu'il dessine sont enveloppants, sensuels, confortables. A l'évidence, cet architecte d'intérieur qui se revendique plus metteur en scène que décorateur déroute. Cette rentrée, il a plus de 30 projets sur le feu et un carnet de commandes plein jusqu'en 2020. La crise ne l'effleure pas ! La preuve, il vient d'installer ses bureaux dans un somptueux hôtel particulier 18e, au coeur du Sentier, qu'il a intégralement restauré et baptisé la Maison Yovanovitch.
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"J'ai eu envie d'affirmer mon esprit et de réaliser un vrai cocon doté d'une cuisine, une salle à manger pour l'équipe. Il y a évidemment un clin d'oeil au côté intimiste des maisons de couture mais, surtout, la volonté d'affirmer une autre manière de travailler, plus dans le partage. J'espère que mes collaborateurs se sentiront, ici, chez eux, et que les clients pourront mieux s'approprier mon univers." Ce lieu illustre d'ailleurs toutes ses inclinaisons : le parquet Versailles en version contemporaine, les murs habillés de travertin français et les meubles de Gunnar Asplund et d'Axel Einar Hjorth, deux architectes designers suédois dans la mouvance de la Swedish Grace, un mouvement né dans les années 1920, qu'il impose quasiment sur tous ses projets. De ses bureaux émane un luxe affranchi de toute ostentation au diapason de sa personnalité : "Je déteste le clinquant, les gens trop bronzés, trop bruyants. Je suis un taiseux plutôt réservé. Je n'oublie jamais que le succès est éphémère."
Né d'un père serbe et d'une mère française, ce "workaholic" est tombé dans l'architecture d'intérieur par hasard, après des études de commerce et huit années passées auprès de Pierre Cardin. A l'instar de Kamel Mennour, dont il a achevé, au printemps dernier, la troisième galerie, avenue Matignon, il se dit autodidacte et fignole chaque projet jusqu'à l'obsession sous couvert de simplicité. Il capte la lumière comme personne pour mieux la sculpter et redessiner les volumes. Amoureux des matières nobles - pierre, métal ou bois texturé - il compose des intérieurs dont la ligne de force est à l'évidence l'Art déco. Mais attention, pas l'Art déco bourgeois, précise-t-il, plutôt celui du décorateur français Jean-Michel Frank ou de l'architecte Paul Dupré-Lafon qu'il réinterprète avec subtilité. Car cet esthète donne la priorité aux volumes, aux jeux d'ombre et de lumière plus qu'à la décoration. "Je n'aime pas la surenchère de mobilier mais, pour autant, j'apprécie les atmosphères chaleureuses, jamais sèches. Je revendique aussi un certain éclectisme, clef de voûte d'un intérieur raffiné. Très français."
L'architecte d'intérieur aime le jardinage
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"Je m'y suis intéressé et passionné lors de l'acquisition de mon château en Provence. J'aime les jardins poétiques et cultivés en dialogue avec l'esprit des lieux. Les extérieurs sont l'écrin d'une maison. Bêcher, biner, planter... forment une école de patience et d'humilité. Cela me permet aussi de me poser et de réfléchir."
Pierre Yovanovitch est un ami de Kamel Mennour
"On s'est rencontrés en 2011 sur un chantier privé de grands collectionneurs. Très vite, d'un point de vue humain, ça a matché. Une amitié est née. Je suis fier qu'il m'ait sollicité pour sa nouvelle galerie, avenue Matignon. J'apprécie beaucoup son oeil et sa manière de gérer ses artistes. Je me suis volontairement effacé devant les oeuvres. Kamel souhaitait que l'espace - sol en pierre gris bleuté de Savoie et murs peints - soit au service des tableaux. Je n'ai pas dû le décevoir puisqu'il m'a confié le chantier de sa quatrième galerie à Londres, inaugurée cet automne."
La mode a influencé l'architecte d'intérieur
"Je suis entré dans ce milieu fortuitement. Après des études en école de commerce, j'ai fait mon service militaire comme volontaire en entreprise et j'ai atterri chez Pierre Cardin. J'y ai passé huit ans très formateurs, entre 1989 et 1996. C'est un fou génial, un architecte du vêtement. Il m'a appris énormément de choses, notamment le sens des proportions, des formes graphiques et l'exigence de raconter, à chaque fois, une nouvelle histoire. C'est un privilège d'avoir travaillé à son côté même si, aujourd'hui, je suis sorti de ce monde."
Le mobilier scandinave compose l'intérieur de Pierre Yovanovitch
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"J'en suis fou, notamment celui d'Axel Einar Hjorth. J'ai découvert ce designer scandinave en 2006 lors d'une exposition organisée par la galerie Eric Philippe. Je trouve son style d'une modernité absolue. C'est un de mes maîtres et une source d'inspiration permanente. Je possède quelques pièces de lui, ainsi que des meubles de Gunnar Asplund, un autre architecte-designer majeur. J'impose souvent ces "master pieces" dans les intérieurs que je compose. Ils se marient bien avec les meubles que je dessine."
L'art est essentiel pour Pierre Yovanovitch
"A 20 ans, j'achetais des croûtes aux puces ou en galeries. Ma façon, probablement, de prouver à mon père, industriel, que je n'étais pas un crétin et que j'avais un peu de goût. Jeune, on affirme sa différence comme on peut ! Aujourd'hui, j'avoue être incapable de vivre sans tableaux, sculptures... Loin d'être une décoration, ils subliment l'architecture d'un lieu, et dialoguent avec lui. Dès la genèse d'un projet, je les intègre à ma réflexion."
Le Sud est la nouvelle résidence de l'architecte d'intérieur
"Depuis 2009, je me suis enraciné en Provence. J'ai eu un coup de foudre pour un château XVIIe après avoir vu une photo dans un magazine spécialisé. Il m'a fallu trois ans pour le remettre en état. J'y suis d'autant plus attaché que j'ai grandi à Nice jusqu'à l'âge de 18 ans. J'aime ces lumières hyper dessinées, très nettes. Cette propriété est une pure folie, mais aussi ma signature. Elle exprime parfaitement mes goûts. J'y reçois mes copains mais aussi, de temps en temps, des clients."
Jessie Norman et la musique classique inspirent Pierre Yovanovitch
"La musique classique a toujours fait partie de ma vie. Un jour, à Pleyel, j'ai eu un choc en écoutant Jessie Norman chanter les quatre derniers Lieders de Richard Strauss. Des années plus tard, au cours d'un dîner, la chance m'a permis de la rencontrer. Très vite, on a sympathisé. J'ai eu le privilège de l'accompagner lors de certains récitals. C'est une immense star, très engagée politiquement, qui m'a initié au répertoire du 20e siècle."
L'architecte d'intérieur utilise la couleur avec parcimonie
"Je l'utilise avec parcimonie. A mes débuts, elle ne me parlait pas. Je lui trouvais même une certaine neutralité, apaisante. Mais j'ai évolué. La preuve, dans mon château en Provence, j'ai mis du brun, du bleu pétrole et du jaune. Et, en ce moment, je réalise une maison à Bruxelles où j'utilise des bleus nuit, des bleus électriques et des roses mais jamais purs. Vous voyez, j'y viens, avec parcimonie certes, pour souligner les volumes. Pas pour être dans le trend. Je ne cherche surtout pas à être à la mode !"
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