La consommation locale et le respect de l'environnement sont devenus des principes fondamentaux. Les consommateurs s'inquiètent de la provenance de leurs produits, de leur qualité et des méthodes de fabrication. En prenant conscience de notre impact sur l'environnement, nous cherchons bien souvent à revenir aux sources. Le monde change, et cela passe aussi par l'habitat. Tout en préservant la notion de confort, nous tendons à mieux habiter le territoire. Dans son travail, l'architecte lyonnaise Soumaya Nanoun s'inspire de l'éco-quartier de Vauban en Allemagne, ou encore des principes de partage, de solidarité et d'entraide, pour concevoir des habitats durables. Une nouvelle ère s'ouvre à nous, découvrez à quoi elle ressemble. Cette entrevue sur écoute est réalisée dans le cadre du Podcast Écoutez la tendance ! à retrouver chaque mois sur Côté Maison.
Depuis une vingtaine d'années, nous sommes toujours plus nombreux à nous préoccuper de notre impact sur l'environnement. Cette prise de conscience naît au début du choc pétrolier en 1973, puis suite aux différents rapports toujours plus alarmants que fournit chaque année le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). En Europe, il s'est renforcé avec le Grenelle de l'Environnement qui a induit des décisions importantes de réduction de CO2. Notamment dans le secteur du bâtiment qui, à lui seul, représente 42% de la consommation énergétique, et 25% des émissions du gaz à effet de serre, rien qu'en France. Les nouvelles manières de consommer, de produire et de fabriquer deviennent des enjeux principaux. De nombreux architectes tentent de penser l'habitat différemment, et sa construction plus locale. C'est ainsi que les notions d'éco-conception, ou encore d'éco-quartier sont apparues. Soumaya Nanoun, architecte et fondatrice de l'agence Ecco-eco à Lyon, nous aide à comprendre ces nouveaux concepts et à imaginer à quoi pourrait ressembler notre habitat de demain.
>> Le podcast est à retrouver ici >> Ecoutez la tendance : Eco-conception et habitat de demain
Qu'est-ce que l'éco-conception ?
Le terme éco-conception est apparu dans les années 1960. Il englobe plusieurs démarches dont l'utilisation des matériaux biodégradables, biosourcés, des modes de chauffage basés sur l'énergie renouvelable, la gestion de l'eau etc... "C'est une démarche durable qui répond à des problématiques de confort et de santé de l'usager. L'éco-conception, ce n'est pas sacrifier le confort pour respecter la nature. On peut conjuguer les deux éléments", insiste Soumaya Naoun.
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L'architecture vernaculaire : l'ancêtre de l'éco-conception
L'éco-conception découle d'un autre principe qui existe depuis bien plus longtemps. Il s'agit de 'architecture vernaculaire. Cette technique ancestrale prend en compte le climat, la géographie, les matériaux locaux, l'époque, mais aussi les besoins des habitants et les contraintes locales. C'est une architecture qui naît du sol et des ressources de sa région : pierre, terre, bambou... Soumaya Naoun illustre ce type d'architecture avec l'exemple des immeubles en terre dans la ville de Chibam, au Yemen. Ces bâtiments peuvent atteindre jusqu'à 8 ou 9 étages, et abritent plusieurs générations. Cette ville illustre parfaitement cette logique de complémentarité entre l'espace et les activités, puisque la terre déposée aux abords des champs permet aux habitants de construire leur maison. En 2000, des artisans se sont formés et ont acheté cette terre : "cela permet aujourd'hui d'obtenir un apport économique pour les agriculteurs, et en même temps de créer un cercle économique vertueux et de développer une filière locale", explique l'architecte. L'architecture vernaculaire, toujours en activité dans certaines régions du monde, prend donc en compte les trois principes fondamentaux de l'éco-conception : l'économie, la dimension sociale et environnementale.
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La réhabilitation, une démarche complémentaire et nécessaire à l'éco-conception ?
Toujours dans le domaine de l'éco-conception, une autre filière se rapporte à cette notion de conception écologique. La réhabilitation, qui consiste à reprendre un bâtiment existant dont l'usage premier est différent de celui que l'on projette d'implanter. D'une part, il s'agit d'une rénovation afin de rendre le lieu habitable et de le mettre aux normes actuelles, et d'autre part, il s'agit de changer son usage. La réhabilitation permet donc de mettre aux normes d'anciennes structures à travers une démarche écoresponsable.
Voici deux exemples de réhabilitation réalisées par Soumaya Naoun :
Le premier se situe dans le Beaujolais. L'architecte et son équipe ont transformé un ancien cuvage en magnifique maison secondaire. Le défi majeur de cette réalisation était de traiter les problèmes d'humidité et d'infiltration au pied des murs. Les professionnels ont opté pour des isolants naturels, aussi bien pour les murs que le sol, un plancher chauffant à basse température assure le chauffage avec une cheminée en complément.
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Dans le cadre d'une réhabilitation, il faut d'abord étudier le bâtiment existant, son implantation, et l'époque de sa construction, pour comprendre comment il fonctionne et savoir comment aménager l'espace, l'isoler, et quels matériaux privilégier.
Soumaya Naoun a également réhabilité son open space. Avant travaux, il s'agissait d'un garage de réparation de voitures, et encore avant, d'un rez-de-chaussée de canuts dans le 4e arrondissement de Lyon, dans lequel les ouvriers travaillaient et habitaient. Ce bâtiment en pierres possédait des caves voûtées humides, avec des fuites d'air autour des vieilles menuiseries en bois.
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Soumaya Naoun a revu toute cette structure pour transformer ce local en bureau. L'idée était de tout isoler et rendre le lieu habitable avec une qualité de l'air saine. Pour cela, elle a pensé aux matériaux biosourcées (chanvre, liège, fibre de bois, ouate de cellulose...), et une ventilation naturelle nocturne. Cette dernière est possible grâce à la création de fenêtres en hauteur que l'équipe prend soin de laisser ouvertes pendant la nuit.
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L'éco-quartier : un habitat d'avenir ?
La particularité d'un éco-quartier est qu'il prend en compte le développement durable dans le projet, depuis la réflexion de l'implantation jusqu'à la construction des bâtiments. Il a d'abord une approche urbaine durable, et se veut autonome en termes de services, tels que les commerces, centres de santé, écoles, bureaux et espaces verts. La proximité entre le lieu de travail et le domicile doit être possible via des déplacements doux (à vélo, à pied, en covoiturage). "Donner accès à la population à des services à proximité permet d'éviter la construction de cités dortoirs, ou qu'elle soit tentée de partir vivre en dehors de la ville et polluer pour venir y travailler, ça n'a pas de sens", explique Soumaya Naoun. La démarche d'éco-conception est la même à la campagne qu'en ville, "mais lorsque l'on décide d'implanter un quartier à la campagne, il faut se poser la question du transport : est-il possible d'aller travailler ou d'emmener les enfants à l'école à pied ou à vélo ? Lorsque l'on souhaite construire une maison écologique à la campagne il faut d'abord penser à la dépense de CO2 que cela va induire. Penser global et agir local sont les principes fondamentaux de l'éco-quartier."
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Parmi les premiers éco-quartiers à avoir vu le jour, on compte celui de Vauban en Allemagne, situé à 3 km de la ville de Fribourg. Il est le précurseur du concept d'éco-quartier en Europe, premier terrain d'expérimentation pour les architectes du monde entier. En 1995, la ville lance un concours d'architectes et ouvre une concertation dans laquelle les habitants ont pu participer à cette initiative pour imaginer le quartier de demain. Les principales problématiques tournaient autour de l'énergie, du transport, de l'architecture et des espaces verts.
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Les logements utilisent l'énergie solaire. Par ailleurs, le quartier est situé dans un environnement verdoyant dans lequel l'eau de pluie est traitée dans des bassins de phyto-épuration et où la biodiversité s'est naturellement constituée. Des salles communes mutualisées ont été créées pour l'équilibre social du quartier. En termes de transports, les voitures sont interdites, il y a uniquement des rues piétonnes, des tramways et des bus. Lorsque Soumaya Naoun a interrogé les habitants du quartier, ce qui ressortait le plus était cette idée de mutualisation et de mixité avec la création de bureaux partagés, de logements étudiants, pour des familles, ou encore pour les personnes âgées. Les habitants de ce quartier parlent du 'bien vivre ensemble'.
Pour l'architecte lyonnaise, l'éco-quartier est un habitat d'avenir car ces logements sont pensés en amont, contrairement aux constructions des années 1950-1960, ces tours éloignées de la ville pour loger les personnes en situation de précarité. L'éco-quartier prend en compte les problématiques sociales, la mixité, la présence d'emplois à proximité pour animer et faire vivre un quartier, la gestion des eaux pluviales et des parcs et jardins, et cherche à mutualiser les espaces et les énergies comme le chauffage. "L'éco-quartier va permettre de sortir de l'étalement urbain, qui constitue un vrai problème pour la production locale. Outre les matériaux utilisés, ce concept émane d'un désir de partage et de solidarité", révèle Soumaya Naoun.
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Le concept d'habitat écoresponsable
L'habitat dit écoresponsable se distingue à travers la fabrication des produits, leur acheminement, leur mise en oeuvre, jusqu'à la fin de vie matériaux. Et par l'exploitation du bâtiment, à travers la performance énergétique, l'utilisation des énergies renouvelables, ou encore la gestion de l'eau de pluie. Un logement écoresponsable tient notamment compte du bien être de l'usager. D'autres questionnements émergent : "comment planter des arbres au sud afin d'obtenir de l'ombre en été ? Comment faire face au vent du nord ? Est-il pertinent de fabriquer une piscine si l'on rencontre des problèmes de sécheresse dans la région ? Ou comment utiliser l'eau de pluie pour arroser les jardins, ou alimenter les WC et le lave-linge ? Ce concept relève uniquement de notions de bon sens qui peuvent permettre de réduire notre impact sur l'environnement", explique Soumaya Naoun. Ces principes ne demandent pas de technologies coûteuses et compliquées, ce sont juste des habitudes simples à prendre, et une connaissance à acquérir pour bien utiliser des ressources gratuites et écologiques de proximité.
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L'habitat écoresponsable : une démarche locale et durable
Ces dernières années, les constructions en bois ont pris une bonne part de marché. C'est également le cas d'autres matériaux naturels comme la terre coulée et la pierre. Sur le principe de l'architecture vernaculaire, l'habitat écoresponsable utilise les matériaux en fonction de la zone dans laquelle la construction se situe afin de favoriser le circuit court et pérenniser un savoir-faire. Il a pour objectif de questionner l'habitat sous toutes ses formes, dont découle une architecture engagée et sensible à l'espace et aux enjeux environnementaux.
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En plus des matériaux locaux, il y le principe de récupération qui entre en jeu dans ce type d'habitat. La Caserne de Reuilly dans le 12e arrondissement de Paris en est un exemple. Ce projet prend en compte la notion de réemploi. L'opération de réaffectation et de création de logements sociaux vise à valoriser les matériaux de chantier en récupérant des éléments déjà présents sur la caserne, comme des rambardes ou des portes de placard en bois, pour les utiliser autrement. Cette démarche permet ainsi de réduire le CO2 généré par l'acheminement et la fabrication de matériaux utilisés classiquement pour la construction.
Le biomimétisme : et si on s'inspirait de la nature ?
Le biomimétisme est un concept qui est déjà utilisé dans certaines industries comme l'aéronautique. Il consiste à imiter le vivant. Dans l'architecture, cette technique d'observation naturelle a commencé à faire son apparition dans les années 1970-1980. À cette époque, les architectes ont commencé à repenser la coque des terrains de foot en s'inspirant de la toile d'araignée. À base de câbles d'acier et recouverte d'une toile très légère, la structure est résistante et légère. Cette nouvelle configuration a permis aux stades de devenir toujours plus grands, sans se soucier du poids ou de l'aspect économique des constructions. Du côté de l'habitat, les architectes se penchent désormais de plus en plus sur cette façon de concevoir en observant la nature. Le jardin botanique Eden Parc en Grande-Bretagne, a par exemple été imaginé à partir du modèle des bulles de savon.
L'habitat de demain s'inscrit déjà dans une démarche d'éco-conception, mettant en oeuvre l'utilisation de matériaux naturels biosourcés, recyclés ou encore biodégradables. Basé sur l'énergie renouvelable, il privilégie des matériaux locaux pour favoriser le circuit court et pérenniser les savoirs-faire. Par ailleurs, de plus en plus d'éco-quartiers sont susceptibles de voir le jour. L'idée est de regrouper l'essentiel des services et de favoriser les déplacements doux. Les aspects social et économique sont également des facteurs importants de l'habitat de demain. Le partage, l'entraide, la mutualisation, permettront une vie en société plus agréable et productive. Enfin, la nature est susceptible de rentrer en compte, avec des architectures toujours créatives et innovantes.
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