Redécouvrir la marqueterie : un regard contemporain sur cet art ancien

Entre tradition et modernité, Clémence Danchin, issue du berceau de l'Art Nouveau à Nancy, dépoussière la marqueterie - un art décoratif vieux de plusieurs siècles. Fondatrice du Studio Poudre, elle fait souffler un vent nouveau sur ce savoir-faire. La rédaction est allée à sa rencontre dans son appartement-atelier situé à Pantin, pour découvrir son approche innovante et créative de cet artisanat qui connaît un nouvel essor ces dernières années.

Révélée à l'époque Art déco, la marqueterie renaît aujourd'hui après des décennies passées dans l'ombre. Outre la paille et le bois, des matériaux nobles tels que le marbre ou le cuir redonnent vie à ce savoir-faire ancestral hérité des maîtres ébénistes comme André-Charles Boulle (1642-1732), et remis au goût du jour par des décorateurs ornementaux tels André Groult (1884-1966) et Jean-Michel Frank (1885-1941). Les "néo-marqueteurs" insufflent aujourd'hui une nouvelle vie à cette technique, perpétuant ainsi la grande tradition des arts décoratifs. Rencontre avec l'une d'entre eux.  

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La marqueterie, une passion née au fil du temps

Clémence Danchin, native de Nancy, a grandi dans le sillage des chefs-d'oeuvre de l'Art Nouveau. Influencée par sa grand-mère passionnée de mobilier d'époque, la jeune fille qu'elle est alors parcourt les salles de vente aux enchères dans lesquelles elle sa familiarise avec le mobilier Majorelle, Gallé, Prouvé et tant d'autres. Les sorties dominicales à la maison de l'École de Nancy, imprègnent son esprit de la richesse du patrimoine. Adolescente passionnée d'art pictural, Clémence Danchin s'oriente vers une carrière artistique, attirée par l'expressionnisme et l'art brut qu'elle côtoie auprès de son oncle curateur dans ce domaine, qui éveille davantage sa sensibilité artistique.  

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Malgré une inclination initiale pour l'École Boulle, la crainte des perspectives futures l'écarte du cursus purement artistique. Elle trouve finalement un compromis en poursuivant un master en gestion du management du marché de l'art à Paris, à l'EAC (l'École Française des métiers de la Culture, du Marché de l'Art et du Luxe). Au cours de ces études, Clémence Danchin s'immerge de nouveau dans le monde des enchères et des galeries. L'un de ses professeurs, marqueteur, pique sa curiosité pour cet art décoratif qui fait naître une véritable passion. À la fin de ses études, la jeune femme bascule dans le milieu du design contemporain et embrasse une carrière passionnante. C'est lors du confinement, à l'aube de ses 40 ans, que Clémence Danchin renoue avec sa fibre créative en se mettant à la marqueterie. Elle entrevoie des possibilités multiples autour de ce savoir-faire et se décide à le dépoussiérer en imaginant développer des panneaux décoratifs muraux en marqueterie.  

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Une formation à l'école Boulle via le GRETA lui donne les bases pour ensuite parfaire sa technique. Deux ans plus tard, elle se lance ainsi dans l'aventure créative et entrepreneuriale avec la création de Studio Poudre. Elle se démarque en ne se positionnant pas comme une ébéniste, mais comme une créatrice fournissant exclusivement la partie décorative finale. Cette approche lui offre l'occasion de collaborer avec d'autres artisans d'art. Sa transition vers des techniques de découpe laser, plus contemporaines, lui ouvre de nouvelles perspectives. 

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Un art décoratif séculaire

La marqueterie est un art décoratif impliquant l'utilisation de feuilles de placages de bois (ou d'autres matériaux) découpés selon un dessin, puis collés sur un support tel qu'un meuble, une boiserie ou un tableau. Historiquement, les premières marqueteries ont été recensées vers -350 avant J.-C. en Asie mineure, au Palais Mausole, avec des incrustations de marbre. Au fil du temps, les techniques évoluent en passant par l'empire Romain, l'Italie de la Renaissance et le XVIIIe siècle sous Louis XIV par l'ébéniste de renom, André-Charles Boulle.  

Bien que l'art de la marqueterie ait été largement abandonné au XIXe siècle, il connaît un renouveau à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle avec l'Art Nouveau et l'école de Nancy, avec des artistes tels que Louis Majorelle, Emile Gallé, Victor Prouvé et Eugène Vallin. La marqueterie trouve également une application remarquable dans les arts décoratifs des années 20 et 30, avec des représentants tels que Ruhlmann, et perdure jusqu'aux années 50 avec des artisans tels que Jules Leleu et Jean-Michel Frank. 

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Il faut distinguer la marqueterie de bois de la marqueterie de paille qui, si elles constituent chacune un décor, sont soumises à des processus de création bien différents. Adepte du bois, la fondatrice du Studio Poudre nous éclaire aussi sur la technique de la marqueterie de paille, à laquelle elle s'est formée aux Ateliers Lison de Caunes. 

La marqueterie de bois  

La marqueterie de bois, un art délicat et sensoriel, met en oeuvre différentes essences, chacune présentant des propriétés distinctes. Le calibrage varie selon la fragilité du bois, tandis que le choix de bois noueux (qu'on appelle aussi "loupe"), tels que le sycomore et l'acajou, offre des possibilités créatives infinies. 

Le processus débute par la visite chez un négociant en bois, similaire à choisir un vin en cave. Des feuilles de placage, parfois aussi fines que 0,6 mm, sont soigneusement sélectionnées pour leur essence spécifique. Ces feuilles, d'une longueur de 2m80 et d'une largeur de 10 à 50 cm, sont ensuite calibrées en fonction des besoins du décor. 

Traditionnellement, la marqueterie commence par un dessin coloré à l'aquarelle ou aux crayons de couleurs, indiquant les choix de bois. Mais il est aussi possible d'avoir recours au dessin PAO (Publication Assistée par Ordinateur, sur Illustrator par exemple) pour esquisser des décors d'une grande précision, que l'on peut ensuite transmettre à une machine laser pour les découpes.  

Le processus traditionnel implique la consolidation des feuilles avec un papier gommé, puis leur encollage avec une mixture d'os et de nerf chauffé. Après 24 heures de pressage, les placages sont prêts à être travaillés. L'assemblage se fait entre deux feuilles de bois avec un matériau léger et épais, appelé le samba, maintenu avec du scotch étirable. Le dessin est ensuite coller par dessus.  

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La technique de découpe Boulle, utilisée depuis l'époque de Louis XIV, consiste à découper l'ensemble du dessin avec une scie à champ tourné. À ce stade, Clémence Danchin utilise aujourd'hui davantage la découpe laser qui facilite grandement le processus, en particulier pour les décors de grande envergure. Les pièces découpées sont ensuite reconstituées comme un puzzle. Le collage sur une cale tendue et le pressage garantissent une surface plane, prête à être collée sur le support final. 

Le verso du décor est collé avec de la colle vinylique sur le support, puis pressé à nouveau. L'étape réjouissante consiste à humidifier le papier craft pour révéler le décor. Un ponçage minutieux transforme ce puzzle irrégulier en une "peinture de bois". Le vernissage au tampon, un artisanat spécialisé, crée un fini laqué brillant. Une finition à la cire d'abeille parfait le décor en marqueterie. 

Clémence Danchin souligne la patience et le soin requis pour atteindre un résultat de qualité en marqueterie. Un décor au format A4 représente ainsi en moyenne une semaine de travail, en comptant les temps de presse ou encore le processus d'assemblage et de découpe. Ceux-ci représentent une part significative du travail, avec une attention particulière accordée aux jonctions, qui doivent être exécutées avec une précision extrême.  

La marqueterie de paille  

Jean-Michel Frank, figure emblématique de cet art, a popularisé l'utilisation unique de la paille de seigle comme matière première. 

Le processus débute par la préparation minutieuse des brins de paille extrait d'une botte. Chaque brin est fendu en deux, puis lissé avec un lissoir, transformé en un ruban de paille à la fois mat et brillant. L'étape suivante consiste à coller ces brins sur le support à l'aide de colle vinylique ou à papier, nécessitant un travail méticuleux, répétitif, et patient. Des découpes précises sont réalisées avec un scalpel, permettant également l'utilisation de paille colorée pour des effets spécifiques. Le rendu est chatoyant, à tel point que les puristes bannissent l'utilisation de vernis en guise de finition.  

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La marqueterie de paille se distingue par sa fragilité intrinsèque. Des retouches régulières sont nécessaires, et l'exposition à la lumière doit être limitée. Malgré ces contraintes, elle partage les mêmes supports que la marqueterie de bois, avec l'avantage de ne pas nécessiter de presse. Cela facilite l'application sur des formats circulaires, offrant une approche plus accessible par rapport à la complexité de la marqueterie de bois.  

Un savoir-faire à mi-chemin entre l'art et l'artisanat

Clémence Danchin remarque que la marqueterie se situe à la croisée de l'artisanat et de la création, offrant une polyvalence où chacun peut exprimer sa créativité. Lorsqu'elle est employée dans la restauration, la marqueterie prend pleinement la forme d'un artisanat, mettant en valeur le savoir-faire traditionnel. Mais dès qu'elle devient le moyen de créer une oeuvre originale, la marqueterie transcende l'artisanat pour revendiquer sa place dans le monde de l'art. Le terme "créateur" s'avère pratique pour décrire celui qui est à l'origine du dessin et de la conception du décor en marqueterie. 

Ainsi, la marqueterie évolue avec fluidité entre deux mondes, offrant aux artisans la possibilité de restaurer avec précision et, aux créateurs, l'opportunité d'exprimer leur vision artistique. C'est cette dualité qui confère à la marqueterie son caractère unique. 

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La fondatrice du Studio Poudre perçoit un retour global à l'artisanat, motivé par des préoccupations environnementales et une volonté de s'éloigner de la société de consommation. La marqueterie, en tant que gardienne des traditions, s'adapte aux aspirations contemporaines, et offre ainsi un équilibre entre le savoir-faire ancestral et l'innovation. Autant de raisons qui pourraient expliquer le regain qu'elle connaît ces dernières années.  

Studio Poudre : la marqueterie nouvelle génération

Le travail de Clémence Danchin à travers le Studio Poudre se distingue par la volonté de dépoussiérer la marqueterie traditionnelle. Plutôt que de privilégier des décors panoramiques, elle se concentre sur la répétition, créant ainsi des motifs évocateurs d'un papier peint. Lorsqu'elle dessine, son approche est intuitive, elle embrasse l'esthétique naïve avec des éléments délibérément imparfaits.  

En sa qualité d'artiste, Clémence Danchin tire ses principales inspirations de l'Art Nouveau, en particulier de son traitement distinctif du végétal et de l'animal, mettant en valeur des motifs tels que la feuille de palmier et la palme. Elle voue une affection particulière au motif léopard qu'elle décline volontiers en marqueterie. Certaines essences de bois évoquent en effet la texture de la fourrure.  

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Bien qu'elle n'entreprend pas de projets de restauration, estimant être encore au début de sa carrière, son positionnement unique dans le domaine repose sur sa connaissance approfondie de l'architecture, du marché et de ses exigences, combinée à sa patte créative distinctive. À travers le Studio Poudre, Clémence Danchin incarne un avenir prometteur pour la marqueterie, prouvant que cet art décoratif ancien peut évoluer et s'épanouir dans le paysage artistique moderne. 

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