Valoriser les savoir-faire artisanaux : tendance ou nouvelle norme ?

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Valoriser les savoir-faire artisanaux : tendance ou nouvelle norme ?
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Ferréol Babin pour Habitat Design Lab

Valoriser les savoir-faire artisanaux : tendance ou nouvelle norme ? - Ferréol Babin pour Habitat Design Lab

Ferréol Babin

[Podcast] Valoriser les savoir-faire artisanaux - et donc les produits réalisés à la main, dans le respect de la planète et des personnes qui les créent - semble opposé aux modes de production des grandes marques de la décoration et du design. Ces dernières ont pourtant de plus en plus la volonté d'intégrer cette démarche dans leurs collections. Alors, simple tendance passagère ou changement profond sur le marché ? Cette entrevue sur écoute est réalisée dans le cadre du Podcast Écoutez la tendance ! à retrouver chaque mois sur Côté Maison. Pour ce dix-neuvième épisode, Rémi Poirson, directeur digital et marketing d'Habitat, nous explique comment les marques mettent en valeur les savoir-faire artisanaux, et décrypte pour nous cette tendance en passe de devenir la nouvelle norme.

Vases, vaisselle, tapis... Pour confectionner ces objets de décoration, il est possible d'avoir recours aux savoir-faire artisanaux plutôt qu'aux méthodes industrielles. Le travail de la terre, du bois ou encore du textile se fait à la main pour concevoir des produits uniques, à la différence de ceux réalisés par des machines, sur un modèle standardisé. Pourtant, ces savoir-faire se font de plus en plus rares, les professions liées à l'artisanat étant délaissées depuis plusieurs décennies. La tapissière Valérie Dubois-Le Roux nous l'expliquait déjà dans un épisode d'Écoutez la tendance consacrée aux enjeux de l'artisanat.  

Afin de préserver ce patrimoine et de répondre à une demande des consommateurs vers plus de responsabilité éthique et environnementale, plusieurs marques choisissent de valoriser ces savoir-faire. C'est le cas d'Habitat à travers son Habitat Design Lab. Cet espace de création fondé en 2017, accueille chaque mois un designer ou un artisan pour concevoir une série d'objets mis en vente dans la boutique de la marque, située place de la République à Paris. Rémi Poirson connaît bien ce projet. Directeur digital et marketing d'Habitat depuis 10 ans, il l'a vu évoluer au fil des changements sociaux et les différentes tendances. Il répond pour nous à la question : la valorisation des savoir-faire artisanaux est-elle une simple tendance passagère ou le reflet d'un changement lent mais profond de notre société de consommation ? 

>> L'épisode est à retrouver ici >> Valoriser les savoir-faire artisanaux : tendance passagère ou changement lent mais profond ? 

Les savoir-faire artisanaux : objets de désir pour les consommateurs comme pour les marques

Les savoir-faire artisanaux sont des compétences qui se retrouvent dans plusieurs domaines. La porcelaine, la vannerie ou encore l'ébénisterie rentrent dans ces catégories. "L'artisanat est la transformation d'un produit à l'aide d'un savoir-faire distinct et hors de tout contexte de production de masse", nous apprend Rémi Poirson. En opposition donc avec les modes de production de la plupart des géants de la décoration et du design. Ces derniers doivent souvent répondre à une plus grande demande de la part des consommateurs. Cependant depuis quelques années, les tendances en matière de consommation évoluent. "Il y a une envie des consommateurs de se distinguer", explique notre invité. Cela signifie qu'ils ne souhaitent plus avoir le même intérieur que leurs voisins.  

Façonnés à la main et donc pas définition imparfaits, les objets issus de savoir-faire artisanaux séduisent de plus en plus. "On recherche une forme d'imperfection qui est gage de sens, approuve le directeur digital et marketing d'Habitat. Derrière le savoir-faire artisanal, on sent la main d'un homme, son savoir-faire", poursuit-il. Fabriquer à la main implique aussi de plus petites quantités et donc un sentiment d'exclusivité pour les clients. Mais pour beaucoup - spécialement les citadins - cela peut être compliqué de trouver des artisans près de chez eux. Le fait que des marques ayant pignon sur rue leur proposent cette option est un atout non négligeable. 

Avec le Design Lab, Habitat dévoile les coulisses du travail manuel, sensibilisant les consommateurs sur ce sujet et les techniques utilisées par des artisans et designers.

Avec le Design Lab, Habitat dévoile les coulisses du travail manuel, sensibilisant les consommateurs sur ce sujet et les techniques utilisées par des artisans et designers.

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Du côté des marques, l'intérêt est double. Elles cherchent à produire des objets qui sont porteurs de leurs valeurs et à collaborer avec des artisans, pour peut-être découvrir de nouveaux talents. "Le Design Lab nous permet de rencontrer de futurs talents qui vont pouvoir travailler sur d'autres collections plus importantes", explique Rémi Poirson. C'est par exemple le cas avec Ferréol Babin, premier invité du format qui a par la suite travaillé avec Habitat sur une collection d'objets destinés aux bureaux. Notre invité cite le designer Terrence Conrad, fondateur d'Habitat : "Le travail de l'artisan est aussi valorisé que celui du designer". S'associer à un artisan c'est également s'assurer des produits de qualité à proposer aux consommateurs. "Pour une marque, ce souci de qualité est omniprésent. Ce ne sont pas de forcément des techniques ancestrales, mais c'est un savoir-faire qui s'est développé sur plusieurs générations", ajoute-t-il.  

Pour sa première édition, le Design Lab d'Habitat a travaillé avec Ferréol Babin sur une collection de cuillères en bois réalisées à la main. Aucune cuillère ne ressemble à l'autre et chaque modèle est unique, en fonction de la forme du morceau de bois dans laquelle elle a été creusée.

Pour sa première édition, le Design Lab d'Habitat a travaillé avec Ferréol Babin sur une collection de cuillères en bois réalisées à la main. Aucune cuillère ne ressemble à l'autre et chaque modèle est unique, en fonction de la forme du morceau de bois dans laquelle elle a été creusée.

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Il y a également un avantage en termes de coûts de production, puisque "s'il y a savoir-faire dans une région, c'est qu'il y a de la matière première à proximité". Cela est aussi bien vrai en France - avec par exemple la porcelaine de Limoges qui s'est développée suite à la découverte de gisement d'argile blanche dans la région - que pour l'artisanat du monde. Plusieurs pays d'Asie du Sud-Est sont ainsi reconnus pour leurs productions de matières premières qui permettent de créer des vanneries ou des textiles de qualité. Rémi Poirson explique que c'est pour cela qu'il est parfois plus intéressant de faire produire sur place : il n'y a pas besoin de transporter la matière première et le savoir-faire est là. La valorisation des savoir-faire artisanaux locaux permet à la marque de tester le localisme, en faisant produire en France ou en Europe. Cela s'oppose aux productions de masse. Ce mode de travail permet de créer du lien social entre artisans et consommateurs, ce qui apporte une valeur ajoutée au produit.  

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Valoriser les savoir-faire artisanaux, un enjeu durable

En plus d'une volonté de se distinguer, les consommateurs sont à la recherche de produits plus respectueux de la planète et des travailleurs. Cette dimension prend en compte des critères écologiques et sociaux. Si cette tendance a tout d'abord émergé dans les milieux de l'alimentation, de la mode ou encore de la beauté, elle gagne depuis quelques années le marché de la décoration. Cela se retrouve dans une volonté de traçabilité, pour savoir d'où viennent les produits. Rémi Poirson explique que cette transparence se retrouve notamment en ligne, où les fiches produits permettent désormais de souligner la provenance des meubles et des matières premières. "On est dans la logique du slow design, consommer moins pour consommer mieux", explique notre invité. Les savoir-faire artisanaux remplissent ces critères. Ce sont généralement des objets produits localement, dans le respect de la nature et des personnes qui les réalisent. "On soutient souvent de petites unités, voire une famille, voire un village, voire une région", ajoute le directeur digital et marketing d'Habitat.  

Plus qu'une simple tendance, le commerce durable est devenu un vrai mode de vie pour les consommateurs et il marque un changement profond dans nos sociétés. Les marques ont donc dû s'adapter à cette nouvelle demande et assurer une transparence. Cela implique souvent de relocaliser la production en Europe, spécialement suite aux nombreux scandales de ces deux dernières années. Habitat Design Lab soutient cette démarche, en invitant des créateurs comme Eugénie Crétinon. La céramiste fait cuire ses créations à Montreuil, à seulement quelques kilomètres du magasin Habitat de République, où elles étaient vendues à la suite de leur collaboration. Ce mode de production réduit considérablement l'empreinte carbone des produits. Une forme de localisme que les marques souhaitent mettre en avant, en plus de la préservation d'un savoir-faire, qui constitue parfois un patrimoine régional.  

La céramiste Eugénie Crétinon, deuxième invitée du Design Lab, travaillant sur ses créations. Ces dernières sont ensuite cuites dans un four situé à Montreuil.

La céramiste Eugénie Crétinon, deuxième invitée du Design Lab, travaillant sur ses créations. Ces dernières sont ensuite cuites dans un four situé à Montreuil.

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Le commerce durable s'oppose ainsi à la production de masse qui était la norme pendant plusieurs décennies. "À la sortie de la guerre, les consommateurs étaient dans la logique de s'équiper, ce qui a poussé à une standardisation de la production [afin de fournir les quantités nécessaires]. Aujourd'hui on est équipé, donc on est plus dans une phase de renouvellement. On doit avoir envie de changer pour racheter", décrypte le pro. Les consommateurs prennent donc plus le temps avant de réaliser un achat et le réfléchissent en tenant compte de critères différents.  

Attention toutefois, "il faut que le consommateur soit en alerte, tout ne peut pas être artisanal", nuance le directeur digital et marketing d'Habitat. En effet, produire des meubles en France et à la main est très coûteux. "Aujourd'hui, réaliser un meuble de manière artisanale est réservé à une élite, chez des marques qui tutoient le luxe", explique notre invité. C'est pour cela que de nombreuses enseignes valorisent des savoir-faire artisanaux sur de petits objets de décoration, comme des vases, de la vaisselle ou encore des tapis, plutôt que des pièces de mobilier plus imposantes. 

Plus qu'une tendance passagère, une nouvelle norme

Si la valorisation des savoir-faire artisanaux s'inscrit dans les tendances déco, elle constitue plus qu'un simple intérêt passager de la part des consommateurs. "L'artisanat est un enjeu d'avenir. Et, au-delà de l'artisanat, ce sont l'écologie et la composante sociale qui sont très importantes dans la production aujourd'hui, parce que c'est valorisé par le consommateur", explique Rémi Poirson. Pour notre invité, le développement durable est la nouvelle norme du marché, suite à une lente évolution depuis le début des années 2000. Si ce changement est déjà amorcé dans les autres secteurs, il est aujourd'hui de plus en plus présent sur celui de décoration. Pour lui, nous tendons vers "le localisme, l'artisanat au pied de chez vous". Ce qui peut sembler être un retour en arrière, à des modes de production plus anciens, est en fait une réponse à une urgence climatique. Dans cette veine, notre invité nous explique que la suite logique au projet du Design Lab d'Habitat, est la création d'un Green Lab, qui pousse la démarche écologique plus loin et se questionne sur le design du futur. La composante sociale est également très importante, spécialement avec la démocratisation du commerce en ligne qui amène à une perte de contact, encore renforcée par la situation sanitaire.  

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Mais, comme nous l'a précisé Rémi Poirson, tout ne peut pas être produit artisanalement. Il faut trouver un équilibre entre ce que peut produire une marque afin d'être rentable, et le prix que les consommateurs sont prêts à payer. Même si les savoir-faire artisanaux sont démocratisés, cela reste sur de petits objets déco et non des meubles essentiels. Vous n'avez pas forcément besoin d'un vase réalisé à la main, en revanche posséder un réfrigérateur ou un matelas est essentiel. Pourtant, c'est typiquement ce genre de meubles qui est produit en usine, souvent très loin du magasin où vous les achetez.  

Notre invité alerte donc sur le "craftwashing". Ce terme découle du "greenwashing", une technique marketing qui feint une clarté écologique, sans pour autant l'appliquer à sa production. En tant que consommateur, il faut donc rester alerte sur la question et se renseigner afin de trouver des produits qui correspondent à nos attentes. Enfin, il ne faut pas oublier que les marques sont soumises aux demandes du grand public pour exister. Si ce dernier se désintéresse de l'écologie ou de l'artisanat, alors les marques ne verront plus forcément l'intérêt de mettre en valeur des savoir-faire artisanaux. 

Rémi Poirson, directeur digital et marketing de la marque Habitat.

Rémi Poirson, directeur digital et marketing de la marque Habitat.

Mélina Vernant

>> L'épisode est à retrouver ici >> Valoriser les savoir-faire artisanaux : tendance passagère ou changement lent mais profond ? 

Plus d'info : Retrouvez le Design Lab d'Habitat dans le magasin parisien situé 10, place de la République 75011, Paris  

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