Dans la cuisine d'Alexandre Mazzia, chef trois étoiles Michelin

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Dans la cuisine d'Alexandre Mazzia

Dans la cuisine d'Alexandre Mazzia

David Girard

De ses souvenirs d'enfance bercés par les plages d'Afrique et les virées en bateau avec son grand-père sur l'Île de Ré, Alexandre Mazzia garde en mémoire les saveurs du poisson grillé, un goût pour les épices et une certaine spontanéité. Dans la cuisine de son restaurant AM à Marseille, il cultive le plaisir de partager, de voyager, en éveillant les sens et les consciences. Depuis son ouverture il y a près de dix ans, le chef a reçu une, puis deux et trois étoiles Michelin. Un parcours qui lui permet d'être aujourd'hui en cuisine comme "un poisson dans l'eau" avec une aisance naturelle et la liberté de créer. Rencontre avec Alexandre Mazzia au coeur de sa cuisine qui raconte un peu de son histoire.

Quand on interroge Alexandre Mazzia sur son passage en tant que basketteur de haut niveau, il évoque immédiatement l'importance de l'esprit d'équipe. Une soif de partage, du collectif et du vivre-ensemble qu'il aime retrouver dans sa cuisine. Comme une suite logique dans sa carrière, le chef trois étoiles Michelin a été choisi pour créer des recettes au sein du village olympique des prochains Jeux Olympiques de Paris en 2024, offrant ainsi une occasion de renouer avec le monde du sport, mais dans un rôle différent. Cette opportunité lui permet également de revoir sa carte et sa manière de cuisiner, tout en apportant un regard nouveau sur les plats qu'il prépare dans son restaurant. C'est une nouvelle étape dans un parcours déjà riche et varié pour ce chef talentueux. 

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Vous avez souvent partagé la citation "qu'importe la destination, le plus important, c'est le voyage". Pouvez-vous nous expliquer comment cette philosophie marque votre approche culinaire ? 

Alexandre Mazzia : Cette notion c'est aussi un voyage intérieur, à travers ses expériences, ses souvenirs d'enfance. Le rappel de la découverte d'un territoire, d'un met ou d'un moment de partage avec quelqu'un. L'idée au restaurant est aussi d'avoir un voyage immobile comme lorsqu'on lit un livre, on s'imagine son propre scénario. La concentration sur l'assiette fait une sorte d'introduction immersive à la cuisine. Il y a un côté intemporel dont on s'empare, on perd toute notion du temps et on peut très bien rester deux ou trois heures sans s'en rendre compte. On part dans quelque chose d'assez particulier, je ne dirais pas mystique, mais qui est propre à AM. 

Avec sa cuisine, le chef Alexandre Mazzia propose des voyages immobiles.

Avec sa cuisine, le chef Alexandre Mazzia propose des voyages immobiles.

Matthieu Cellard

Vous évoquez l'importance des cinq sens dans votre cuisine. Comment cela a influencé votre cuisine chez AM ? 

Alexandre Mazzia : Il n'y a pas la volonté de démontrer, c'est une écriture culinaire qui se fait au fil de l'eau. J'ai appris, j'ai déconstruit ce que j'ai appris pour pouvoir construire ce que je suis aujourd'hui. C'est une histoire personnelle, c'est vraiment quelque chose d'assez autarcique. Pour moi cela me paraît normal, il n'y a aucune réflexion à se dire je vais faire quelque chose pour emmener les gens ailleurs. Et je ne sais pas si, avant que les gens nous le disent, je pensais les faire voyager aussi loin.  

Voulez-vous dire que votre cuisine est spontanée, instinctive

Alexandre Mazzia : On peut défaire des techniques, des ingrédients, des façons de les travailler mais la chose la plus belle, c'est de vivre la cuisine. Elle est émotive, elle est sensible, elle est généreuse. Le piment, la torréfaction et les épices sont la colonne vertébrale de ce que l'on compose. On étire une acidité, un côté métallique et ferreux, un côté astringent, l'amertume douce, etc. Tout ça est mis au service de l'histoire que l'on raconte chaque jour. 

Sans description détaillée et avec spontanéité, Alexandre Mazzia a à coeur de "vivre la cuisine". Ses plats font appel aux cinq sens pour une expérience immersive.

Sans description détaillée et avec spontanéité, Alexandre Mazzia a à coeur de "vivre la cuisine". Ses plats font appel aux cinq sens pour une expérience immersive.

Matthieu Cellard

Qu'avez-vous appris à déconstruire en cuisine ? 

Alexandre Mazzia : Je pense notamment aux jus que l'on travaille en assemblant aux sauces. On doit être les premiers à servir dans une même assiette les deux, parce que c'est complémentaire et que ça permet d'avoir quelque chose de graduel, d'assez intense. C'est dans la subtilité de la création et dans la façon de l'amener. 

Quelles sont vos habitudes dans cette cuisine de chef ? 

Alexandre Mazzia : Ma seule habitude c'est de ne pas en avoir justement ! C'est ce qui fait que vous jouez tout le temps, vous vous amusez. Au début et pendant très longtemps, j'entrais en cuisine à 6h15, tout était fixe, très timé. Maintenant je suis dans un tout autre mood. Je crée quand je veux, je fais ce que je veux, je ne m'interdis rien ! C'est ma cuisine. Je la laboure tous les matins, c'est un atelier de construction et de plaisir. C'est l'endroit où je me retrouve, où je me ressource.  

Véritable refuge pour le chef, son restaurant AM à Marseille.

Véritable refuge pour le chef, son restaurant AM à Marseille.

Matthieu Cellard

Pourquoi ce changement de mood ? 

Alexandre Mazzia : C'est le savoir je pense, la lecture des produits et la façon dont ils résonnent. À force d'expérience, vous détectez si une pommade est trop salée à l'oeil, vous voyez à la façon dont quelque chose est coupé, quelle texture il aura en bouche. Quand vous avez passé votre vie en cuisine, vous avez une facilité de lecture et de compréhension qui vous permettent d'aller beaucoup plus vite. De l'extérieur, les gens n'ont pas l'habitude, ils perçoivent quelque chose de très carré, très méthodique. Mais moi je me suis construit là-dedans, ce n'est pas compliqué pour moi, je suis comme un poisson dans l'eau. Quand vous faites ça tout le temps, toute votre vie, cela devient intuitif. La méthodologie de travail devient très simple. J'ai toujours opéré ainsi, sans enlever la spontanéité qui est importante. 

Vous avez vécu en Afrique et à Marseille, deux endroits riches en saveurs et cultures culinaires. Quel impact cela a sur votre cuisine aujourd'hui ? 

Alexandre Mazzia : Entre mon grand-père qui était pêcheur sur l'Ile de Ré, les poissons grillés sur la plage en Afrique et mes deux tours du monde, ça laisse des traces, c'est ce qui fait qu'on est uniques. Les produits marins m'ont marqué, la torréfaction des épices et le piment ont aussi toujours été là. L'Afrique, c'est là où je suis né et où j'ai grandi, il y a forcément des choses qui sont enfouies. Une recherche de quelque chose de métallique, par exemple, qui se retrouve à travers un barbecue. Le côté fumé fait partie de la colonne vertébrale, c'est ce qui va étirer les goûts en cuisine. C'est ma madeleine de Proust. 

De ses souvenirs d'enfance, entre l'Afrique et l'Île de Ré, Alexandre Mazzia garde la saveur des poissons grillés et un goût pour les épices.

De ses souvenirs d'enfance, entre l'Afrique et l'Île de Ré, Alexandre Mazzia garde la saveur des poissons grillés et un goût pour les épices.

Matthieu Cellard

La préparation des repas pour les athlètes des Jeux Olympiques est un vrai défi. Quelle sera votre mission ? 

Alexandre Mazzia : Le comité des Jeux Olympiques nous a demandé d'apporter le savoir-faire et l'élégance à la française. J'étais très honoré de cette sélection. On est sur trois endroits différents : un espace où les athlètes dégusteront leurs plats assis, une autre zone où ils mangeront debout et une troisième zone où les gens pourront prendre à emporter pour manger chez eux dans leurs appartements. Je ne m'occupe pas de tout le village évidemment !  

Pouvez-vous nous donner un aperçu de la manière dont vous prévoyez d'équilibrer le goût et la nutrition pour soutenir la performance des sportifs ?  

Alexandre Mazzia : Ce qui a été important c'est tout le travail en amont, aussi bien sur la performance que sur la récupération, auprès des nutritionnistes, des médecins du sport, des préparateurs physiques des nombreuses disciplines que j'ai pu approcher. Après, on vous demande des recettes. On prend tout ça en considération, en gardant l'empreinte du restaurant. En tenant compte aussi du territoire, de l'approvisionnement, des ressources marines. C'est un cercle vertueux. Les JO ont eu à coeur d'être exemplaires dans la façon d'opérer, sur l'empreinte carbone ou la gestion du recyclage, la manière d'appréhender l'événement. Je vais donner le meilleur aux athlètes comme je donne le meilleur chaque jour à mes clients.  

Pour Paris 2024, le chef a la mission d'interpréter le savoir-faire de la cuisine à la française.

Pour Paris 2024, le chef a la mission d'interpréter le savoir-faire de la cuisine à la française.

David Girard

Avez-vous fait un lien avec la carte proposée chez AM ? 

Alexandre Mazzia : On s'est rendus compte que les recettes au restaurant n'étaient pas si mal ! En fibres, en matières grasses, en oligo-éléments, on est sur quelque chose de sain donc ça fait plaisir ! Et puis on n'a pas du transiger sur tout. On a la responsabilité de donner du plaisir aussi et je n'ai aucune contrainte. Sur le reste du village, oui, mais les trois zones évoquées, je peux faire ce que je veux. Mais étant ancien sportif, je me devais de prendre en considération ceci. Et en termes de connaissances et de compétences, on a tellement appris, c'est un long travail réalisé depuis trois ans.  

Les connaissances acquises lors de la préparation des recettes pour les JO ont permis au chef de se rendre compte que sa propre carte révélait une cuisine saine, pas si éloignée des plats qui seront destinés aux athlètes.

Les connaissances acquises lors de la préparation des recettes pour les JO ont permis au chef de se rendre compte que sa propre carte révélait une cuisine saine, pas si éloignée des plats qui seront destinés aux athlètes.

David Girard

En tant qu'ancien basketteur, vous avez certainement acquis des compétences et des valeurs qui se traduisent dans votre rôle de chef. Pourriez-vous nous parler d'une leçon apprise sur le terrain de basket ? 

Alexandre Mazzia : Le sport m'a éduqué toutes les valeurs collectives, elles ont toujours été là. Même dans le management, il n'y a rien de plus fort que l'équipe. Ce sont des valeurs qu'on retranscrit dans notre manière de travailler. Je pense qu'on est venus me chercher parce qu'il y avait une cohérence dans tout ça. C'est vrai que ça fait plaisir et ça montre que la façon dont on opère correspond à certaines valeurs qui sont aussi mises en place sur le village olympique et pour Paris 2024, c'est chouette. Et puis cela prouve aussi l'impact de l'assiette au-delà de la performance, dans la bonhomie de la pensée, c'est important.  

Entre les terrains de baskets et son parcours de chef, l'esprit d'équipe reste un fil conducteur.

Entre les terrains de baskets et son parcours de chef, l'esprit d'équipe reste un fil conducteur.

David Girard

Après le service au restaurant, vous retrouvez votre propre cuisine à la maison. Qu'aimez-vous faire ici lors de ces moments de détente ? 

Alexandre Mazzia : J'ai un enfant de 14 ans et une fille de 6 ans, ce que j'aime c'est partager avec eux. Je suis un fan de barbecue. J'ai peut-être huit barbecues à la maison, les enfants jouent avec, et avec la cheminée en plus, on ne s'arrête jamais. On peut même faire des pizzas au barbecue ! J'adore on a le brunch du dimanche, les enfants préparent toujours ensemble quelque chose, ça peut être n'importe quoi, un gâteau ou autre, on s'en moque, on le partage ensuite ensemble. Chacun se lève à son rythme et au fil de la journée, on discute, c'est une espèce de brunch. On lit, on écoute de la musique, c'est assez cool mais ça se passe toujours autour de la table !  

>> Le chef nous livre la recette de l'un de ses plats "signature" :

L'un des plats du chef Alexandre Mazzia dans son restaurant AM à Marseille.

L'un des plats du chef Alexandre Mazzia dans son restaurant AM à Marseille.

Alexandre Mazzia

Moules, maquereau, hareng et noix de coco

> Les ingrédients pour 4 personnes : 

100 g de hareng doux fumé, 100 g de maquereau, 100 g de moules cuites (garder le jus de cuisson) et décortiquées, 2 c. d huile de pistache, 6 c. de jus de citron jaune, une pincée de curry, 2 c. à café de graines de pavot, herbes fraîches (aneth, estragon, ciboulette, coriandre), crème fraîche, une betterave, cubes de noix de coco. 

> La préparation : 

- Dans un cul-de-poule, mélanger le hareng doux fumé et le maquereau découpés en petits morceaux.  

- Ajouter les moules préalablement cuites et décortiquées. Chauffer légèrement au chalumeau, ajouter deux cuillères d'huile de pistache, trois cuillerées de jus de citron jaune, une pincée de curry, une cuillère à café de graines de pavot.  

- Enfin, ajouter deux cuillerées d'herbes fraîches (aneth, estragon, ciboulette et coriandre) et bien mélanger. 

> Le dressage :  

Utiliser des emporte-pièces, les remplir à ras bord avec la préparation, bien tasser. Verser par dessus du jus de cuisson des moules, qui aura été auparavant mélangé à un peu de crème fraîche et quelques graines de pavot. Disposer sur le dessus trois fines rondelles de betterave préalablement marinées dans du jus de citron, poser un petit cube de noix de coco et une feuille de souci sur chaque rondelle.  

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